Les pierres du chemin, extrait : Pierre tombale
Pierre tombale
Pierre m’a accompagnée au cimetière. Je m’appuie sur son bras, non pas que les graviers fassent tourner mes chevilles, mais parce qu’il est le roc auquel je m’accroche. Sur le chemin, il m’a dit, doucement, un poème, qui a fait redoubler les sanglots qui m’étouffent.
Stabat Mater dolorosa
Juxta crucem lacrimosa
dum pendebat Filius.
Cuius animam gementem…
Je lui ai emboîté le pas, continuant la prière que j’ai chantée l’an dernier encore, dans le chœur que j’ai rejoint il y a quelques années :
contristatam et dolentem,
pertransivit gladius.
Pierre m’a légèrement rapprochée de lui et m’a serrée contre lui. Tout de même, il n’y a pas tant de gens qui connaissent ce texte, deux ou trois amis de Pierre, tout au plus, et moi. On dirait que les plus jeunes n’apprennent plus rien par cœur… Mathieu pourtant…
« Mathieu le savait en entier… »
Nous nous habituons donc petit à petit à parler au passé…
- Mathieu savait tant de choses…
- Tu vois Mariette me dit bien qu’elle a fait du latin, mais on dirait qu’elle ne se souvient de rien.
- Pourtant Mathieu n’avait que trois ou quatre ans de moins qu’elle… »
Nos regards éteints, fatigués par les larmes, se bornent à suivre l’allée principale ; ailleurs le spectacle est trop désolant, des fleurs fanées, brûlées par le gel, dans leurs gros pots couleur de terre, et puis il n’y a plus rien à attendre à l’horizon. Il y a pourtant une tache jaune et blanche sur la gauche, dans l’allée parallèle : une sépulture toute fraîche, qui nous fait tourner la tête un instant. Nous pensons sûrement, tous deux, à l’hébétude du mois dernier, dont nous sortons à peine, et dont Pierre essaie peut-être d’éloigner le souvenir en continuant notre duo :
O quam tristis et afflicta
fuit illa benedicta
Mater Unigeniti…
Il faut tourner à droite, je connais le chemin par cœur. Je l’ai fait tous les jours après l’enterrement. C’est la septième tombe après le croisement. On la voit d’un peu loin parce qu’elle est encore couverte de couronnes à peu près fraîches. Avant-hier la dalle n’était pas posée. Six semaines pour tailler un bloc de granit, tout de même… Cela commence à bien faire.
« Ils ont posé la dalle… », me dit Pierre d’une voix neutre.
« Ce n’est pas trop tôt !
(...)
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