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Les pierres du chemin. Extrait : Pierres sèches

"Tout a donc brûlé ?", demanda Mathieu, contemplant, le cou tendu, les murailles écroulées qui tutoyaient le ciel.

"Non, après, les gens se sont servis, pour construire leur maison. Ils ont emporté les pierres...

- Mais comment ? Une par une ? C'est inaccessible...

- Pas suffisamment pour qu'on n'ait pas pu construire..."

Nous étions tous les quatre en arrêt au pied de la montée vertigineuse au sommet de laquelle se dressaient les ruines de Monségur. Il faisait chaud, j'étais un peu essoufflée déjà, et la perspective de l'escalade m'impressionnait. Les restes de cette construction insensée en valaient-il la peine ? Il n'y aurait rien là haut. Des pierres sèches. Délimitant au mieux la cour d'une forteresse dont les murailles n'avaient pas pu protéger les corps de ceux qui se battaient pour l'avenir de leur âme.

 

Cet été-là, Pierre avait proposé que nous allions voir quelques châteaux Cathares, ou ce qu'il en restait : des murailles, et surtout des sites. Nous nous étions accordés sur une expédition hebdomadaire, pas plus, de manière à ne pas épuiser les forces de Mathieu mais aussi pour avoir, comme d’habitude, le temps de "mijoter", selon le mot de Pierre, tout ce que les musées attenants nous apprendraient. Car toujours, après la visite d’une exposition ou la découverte d’un site exceptionnel, il déambulait, pensif, hochant la tête de temps en temps ; si on lui demandait ce qui le préoccupait, il levait en l’air un index suspensif et répondait malicieusement : « je mijote ». Chacun de nous, en tous cas, faisait sa cuisine des ingrédients que nous avions picorés et qui, sur le coup, nous avaient surpris ; au bout d’un certain temps, nous étions capables de revenir sur nos découvertes et pouvions livrer aux autres la primeur de nos réflexions : un rapprochement avec quelque objet vu ailleurs ou quelque événement connu ; une relation inédite entre une découverte technique et les conditions économiques de l’époque ; l'étonnement devant l’ingéniosité sans borne des hommes, ou devant la permanence de la sensibilité artistique ; la perplexité devant la plasticité de la sensibilité au mal ; la compréhension encore des logiques intemporelles de la production artisanale ou industrielle… Pendant des semaines et des semaines, les magnifiques musées de La Madeleine, des Eyzies et de Mulhouse, avaient ainsi alimenté nos rêveries, et le plaisir que nous avions partagé à découvrir celui de Tautavel ou, merveille insoupçonnée, celui de Millau, avait été notre Noël secret et inoubliable.

 

(...°



19/05/2015
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