le-soleil-et-la-lune

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Les pierres du chemin, extraits : L'homme pétrifié.

(...)

Nous étions arrivés aux thermes de la rue de l’Abondance. Les casiers des vestiaires étaient vides, bien sûr : là aussi on avait éparpillé le linge, et les strigiles, et les sandales, et les flacons à huiles, que je remettais en place au fur et à mesure que la guide rappelait l’usage qu’on en faisait en ces lieux. Nous admirâmes les plafonds à alvéoles encore teintés de bleu et d’ocre, et des toutes les couleurs de la chapelle Sixtine, et puis nous arrivâmes dans une pièce… Mais je n’écoutais plus et ne pourrais dire quelle était sa fonction. J’avais les yeux rivés sur un cercueil de verre et tous les sens en éveil, au cas, peut-être, où j’aurais pu surprendre une respiration qui aurait indiqué que l’homme se réveillerait un jour… Les gens piétinaient autour de la vitrine et leurs commentaires brouillaient mon attention. Derrière la vitre, un homme était couché sur le côté,  pétrifié. Il avait la jambe droite légèrement repliée sous l’autre, et sa main droite servait paisiblement de coussin à sa joue gauche. C’était ainsi que je m’endormais, moi aussi. Il avait expiré dans cette posture tranquille du dormeur où la mort l’avait surpris. Il était chauve, de taille moyenne et le biceps de son bras replié saillait comme celui d’un homme jeune. Pourtant, peut-être parce qu’il avait les yeux enfoncés dans leurs orbites, il semblait âgé, et son nez, droit, long et étroit, le faisait un peu ressembler à De Gaulle. Comme chez lui, les sourcils et les paupières étaient nettement tombants, lui donnant un air un peu triste. Je crus même lui voir une petite moustache sous le nez mais, en m’approchant, je vis seulement que le sillon sous-nasal, chez cet homme dont la nature avait moulé le corps, était très creusé. Je constatai qu’il avait de grandes oreilles, et me demandai si cette étrange déformation que l’âge inflige aux plus beaux visages avait affecté cet homme ou s’il n’y avait pas fait attention. Après tout, me dis-je, les miroirs étaient tout de même plus rares qu’aujourd’hui, et s’il fallait, pour se mirer, chercher son reflet dans une eau claire et immobile ou dans les yeux de son amant, il était probable que cela tempérait la tentation d’aimer son image.

 

Je vis que l’homme endormi avait la bouche et les yeux légèrement entrouverts, mais je n’entendis pas son souffle. Les enfants m’avaient rejointe, ils se glissèrent devant moi, le nez sur la vitrine. Pierre vint mettre sa main sur l’épaule de Clément. Mathieu tordait la tête dans tous les sens pour apercevoir un détail dont il espérait peut-être qu’il lui en aurait révélé un peu plus sur cet homme. Il était observateur. Il vit les poches sous les yeux, la fatigue, ou l’âge seulement, et j’entendis Clément qui murmurait :

« Les pieds dans les glaïeuls, il dort.  Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. »

- Ca, c’est une autre histoire, pas la sienne, », répondit Pierre avec sévérité, « cet homme est mort dans son lit. »

Le front toujours écrasé contre la vitrine, Clément ne répondit rien. Il tournait le dos à son père qui ne vit pas la larme qui coulait et qu’il n’essuyait pas pour que son geste ne le trahisse pas.

« C’est beau tout de même. », fit alors Mathieu.

Mathieu était tellement sensible à la poésie…

(...)

 



20/03/2015
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