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Les pierres du chemin, extraits : Pierre ponce

(...)

Pierre s’attardait avec moi devant les mosaïques, les fresques, les portraits et les statuettes de bronze, et les enfants semblaient fascinés par les petits ustensiles pratiques, les balances, les instruments chirurgicaux, les nécessaires de toilette, les chaufferettes… Nous nous retrouvâmes tous quatre réunis devant un petit appareil de chauffage, cherchant à en comprendre le principe. Et puis dans une vitrine, nous vîmes cette petite Vénus de marbre blanc, qui s’apprêtait à la toilette et s’appuyait, de l’avant-bras gauche, sur la tête d’une statuette beaucoup plus petite, dont le sexe érigé et disproportionné trahissait l’identité. La déesse tellement humaine n’était vêtue que de ses bijoux, d’un soutien-gorge de dentelle dorée qui cachait mal ses petits seins, et de ses sandales, dorées elles aussi. La jambe gauche légèrement levée et repliée pour rapprocher son pied de la main qui le libérerait de sa sandale, Vénus était surprise dans l’attitude qu’ont les jeunes femmes qui ne se savent pas observées. Elle penchait légèrement la tête à droite, vers le bras rond qui délaçait la sandale. Dans ce geste ordinaire de l’intimité, elle était incroyablement gracieuse. Pour atteindre autant de naturel, l’artiste avait dû longuement faire poser son modèle. Le marbre lui faisait un grain de peau si lisse et si blanc que Rubens, s’il l’avait connue, n’aurait pas manqué d’en tester l'élasticité avant d’en faire le portrait.

« Ah ? », fit Pierre en découvrant le carton qui présentait la statuette, « J’ai cru qu’elle se ponçait les talons ! 

- Ah oui, moi aussi… C’est curieux… »

(...)

Puis nous revînmes sur la statuette que nous rebaptisions « Vénus à sa toilette », et cherchâmes à comprendre pourquoi nous avions tous deux fait erreur sur son geste.

«  Moi je crois que c’est à force d’avoir entendu parler de pierres ponces depuis hier, », fit Mathieu qui écoutait avec beaucoup d’intérêt.

« Et puis la position qu’on prend pour délacer sa sandale ou pour se poncer les pieds est peu près la même, non ? », proposa Pierre.

Après quelques secondes de ravissement devant l’intelligence de mon fils, je concédai :

- Tu as sans doute raison, oui. », puis je pris Pierre à témoin :

« C’est curieux comment l’esprit fonctionne… »

Nous restâmes rêveurs, tous quatre, un instant, puis Mathieu repris.

« Quatre-vingt-un pains…

- Ca, le pain… C’est bouleversant aussi, oui… »

Les uns après les autres, dans un concours d’émerveillement, nous exhumions un par un, tout frais, hors de notre mémoire, des objets plus extraordinaires les uns que les autres. C’était comme si nous avions fiévreusement fouillé dans les malles à trésor de pirates, hurlant de surprise et de bonheur à chaque trouvaille.

« Oui, n’est-ce pas, c’est incroyable comme cette miche ressemble à celles que l’on trouve chez les boulangers tunisiens. Celui de la rue Gay Lussac en vend de toutes pareilles… », remarqua Pierre. Je lui emboîtai le pas.

« Avec ces parts dessinées à l’avance, enfin… marquées… 

- Le geste du boulanger, qui trace les parts de quelques coups de couteau… », fit remarquer Mathieu en un dernier grain de sel qu’il apportait au scénario que nous reconstruisions.

« Et qui enfourne quatre-vingt-une miches pour répondre aux besoins de sa clientèle…

- Quatre-vingt-un clients… Qui faisaient la queue, peut-être, aux heures de pointe…

- Et des gamins qu’on envoyait chercher le pain…

- Et des servantes qui en profitaient pour bavarder et éventer les secrets de famille… »



20/03/2015
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