le-soleil-et-la-lune

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En haut des marches

En haut des marches

 

« Une certaine Louise Grimaud, monsieur…

- Louise Grimaud ? », fait Gérard Sevin sans lever la tête, avec ce bruit de bouche qui lui est coutumier, genre pet, ‘Qui c’est celle-là, connais pas…’.

Puis…

« Attendez… Comment dites-vous ?

- Louise Grimaud, monsieur.

- Ah… ! Ben dîtes-donc, une revenante ! Passez la moi.

- Gérard Sevin… ? Louise... Louise Grimaud… Bonjour Gérard. »

Il se cale contre le dossier de son grand fauteuil en cuir fauve et, tout en pivotant vers l’immense baie vitrée qui domine la Seine, bascule en arrière.

« Eh ben dis-donc, tu tombes bien, ces jours-ci, j’ pensais justement aux vieux potes ! Les grands esprits se rencontrent ! ».

Un air amusé anime fugitivement son visage. Un sourire habituel, en coin, comme à regret.

Au bout du fil, la voix de Louise Grimaud, revenue du fond des âges, enchaîne :

« Ah oui ? Moi, c’est un rêve qui m’a fait repenser à toi, récemment.

-          Ah bon ? Tu me vois en rêve ?»

Le sourire, sur le visage de Gérard Sevin, s’est franchement élargi.

« Si tu veux… Et je t’en aurais bien reparlé… Qu’est-ce que tu en penses ? 

-          Pourquoi pas ? Attends… »

Gérard Sevin fait pivoter son fauteuil vers le grand bureau en palissandre de Rio et consulte son agenda. Il évoque des dates à mi-voix ; il hésite…

« J’ai rien avant deux bons mois. Novembre… Le 13 novembre… Et encore…

-          Deux bons mois… Le 13 novembre, bon, je prends. Où et à quelle heure ? »

Lieu de travail, domicile, qu’est-ce qui est le plus simple ? Ils finissent par s’entendre : Trocadéro, devant le musée de l’homme, 13 heures, le 13 novembre. Ils bavardent un peu, tout de même.

« Les vieux potes… », dit-il.

Elle ne se souvient pas de leurs noms, non.

Elle avait déjà cette voix radiophonique, un peu haut perchée tout de même, un peu hésitante aussi, malgré les airs affranchis qu’elle prenait parfois, songe-t-il après avoir raccroché, mais elle était un peu sèche au téléphone, il ne lui connaissait pas cette intonation-là. Il essaie de se remettre au travail, mais les souvenirs affluent, le distraient. D’abord, la colère de Louise quand il lui avait parlé de l’avortement que Maryline, enceinte de ses œuvres, envisageait, puis auquel elle avait procédé. Avec le recul, la naïveté avec laquelle il s’était ouvert à Louise de son problème de conscience le fait sourire. Il voulait savoir ce qu’elle en pensait… Il se demande pourquoi, maintenant… Il la revoit marchant à ses côtés et l’entend encore marteler, avec cette voix qui montait dans les aigus quand elle se fâchait, qu’il fallait assumer les conséquences de ses actes. C’était drôle ces convictions qu’elle avait comme ça, ce côté moraliste, pour une fille qui ne venait pas de chez les curés ; une fille qui, comme lui, avait été biberonnée au lait de la laïcité… Et puis qu’est-ce qu’elle en savait aussi, de l’avortement, Louise, elle qui n’avait jamais fait l’amour mais qui s’horrifiait, comme une grenouille de bénitier, de l’issue de cette grossesse bien embêtante, bien fâcheuse, même si l’intéressée elle-même n’avait pas dramatisé… Une fille spontanée, amusante, sans complexe et pleine de bon sens, cette Maryline qui le rembarrait souvent, et elle avait raison, c’était comme ça qu’il fallait lui parler, naturellement, sans se demander, comme Louise, si, à chaque fois qu’elle ouvrait la bouche, c’était intelligent ou non. Il avait eu le béguin pour elle. Elle n’avait pas fait de difficultés pour coucher avec lui mais… Après l’avortement, elle lui en avait voulu. Elle le rabrouait souvent, refusait ses propositions de rendez-vous, et puis s’agaçait qu’il lui propose toujours des films cultes. C’est vrai qu’ils n’étaient jamais d’accord sur la bobine qu’ils iraient voir. Il parlait comme ça, ça lui revient, il avait cette liberté, c’est vrai… Maintenant, devant les media, sous les projecteurs, devant les organisations syndicales, partout, il doit contrôler son langage… Elle voulait aller danser, Maryline, aller en vacances à Ibiza ou aux Baléares, au resto avec ses amis du salon de coiffure ou du centre d’apprentissage… Lui rêvait déjà des USA ou du Japon, voulait essayer de faire d’une pierre deux coups, un séjour-loisirs et la recherche de contacts pour un premier emploi, quand il serait sorti de Supélec et Maryline, un jour, lui avait dit au téléphone qu’elle avait mieux à faire que de se balader avec lui. Il en avait été bouleversé… Il se souvient, oui, il confiait ses remords à Louise, qui traversait volontiers Paris avec lui, qui aimait aller au Reflet Medicis, au Champollion, ou aux cinémas Action et prendre des pots aux terrasses, après. Le quartier latin. Saint Germain. Louise, au moins, elle, n’avait rien à lui reprocher. Dans la bande de Centrale, des Mines, des Ponts, et autres grandes écoles, qui se retrouvait là, à la cité U, la seule fille. Pas vilaine, objectivement, même jolie fille. Sportive, vive. Les potes le regardaient, lui qui était toujours avec elle et avait tout l’air d’être son petit ami, avec une certaine envie. S’ils avaient su… Un bout de bois. Il s’était pourtant acharné, en silence, dans le petit lit une place de sa chambre d’étudiant, à lui faire ouvrir les jambes… Elle n’avait jamais parlé de ce dont elle avait peur, de ce qui la glaçait ainsi, de ce qui se passait. Lui aussi manquait d’expérience, sans doute, et il ne lui posait pas de question. Mais de toutes manières, c’était toujours plus difficile avec les intellos… Elles étaient compliquées. D’ailleurs même avec Abigaël, ça n’avait jamais été terrible ; on ne pouvait pas dire qu’elle avait souvent eu envie de lui… Qu’elle avait eu envie de lui tout court, peut-être… Sa femme était bien élevée, réservée, et elle n’avait pas fait d’histoires pour céder à ses avances mais, à vrai dire, elle n’avait jamais dû prendre grand plaisir à la chose… Après la naissance de leur fils, elle avait de plus en plus espacé leurs rapports. Ils n’avaient jamais pu avoir d’autres enfants. Il aurait bien aimé. Ils avaient consulté : il était stérile ; spermogramme sans équivoque. ‘Trop peu de spermatozoïdes, et pas enthousiastes’, avait dit le chef du service d’urologie de Bichat, ‘ça arrive, sans qu’on sache pourquoi. On ne peut pas l’expliquer’. Alors entre cette réalité et la rareté de leurs ébats, Abigaël et lui ne s’étaient pas multipliés… Thomas était resté fils unique et son éducation leur avait laissé un souvenir pénible. Seul, il s’ennuyait, et leur demandait de combler le vide laissé par les frères et sœurs qu’il n’avait pas.

C’était curieux tout de même… Louise et lui, tous deux, presqu’en même temps, cette envie de reprendre contact… Est-ce qu’elle regrettait leur amitié ? Est-ce qu’elle avait mis tout ce temps à comprendre qu’elle avait laissé passer sa chance ? Ils s’entendaient bien... Leur weekend à Venise, quel bonheur, quand il y repensait. Le silence, là-bas, avec, au passage du Vaporetto, le clapotis des vagues, à peine, contre les maisons. Les voix humaines qui résonnaient sur les petites places. A cause de ces retrouvailles avec des siècles et des siècles d’univers sonore, Louise  avait dit qu’elle avait le sentiment de côtoyer des ancêtres. Quel contraste avec la circulation à Paris. Leur errance au petit bonheur des ruelles. Il avait encore ce cliché, qu’avait pris un photographe de rue, d’eux attablés à la terrasse d’une pizzeria, elle souriante, en robe rose, qui le regardait lui, à demi vautré sur sa chaise, à demi tourné vers l’objectif. Est-ce qu’ils n’avaient pas partagé la même chambre d’ailleurs ? Mais si, il s’en souvenait maintenant, mais le lit était large, et les choses étaient claires : entre temps, il y avait eu Maryline, non ?

 

Deux mois plus tard. Le 13 novembre.

 

Quelle heure il est ? 12 h 47, zut, il n’y sera jamais pour 13 h, et il n’a pas pensé à lui demander son numéro de portable. Bon, il n’y peut plus rien. Elle attendra, c’est tout. Et puis il a une de ces envies de pisser… Il n’aime pourtant pas conduire à Paris, mais il a donné congé à son chauffeur pour l’après-midi. Ça fait bien longtemps qu’il n’est pas venu par ici, il ne se souvenait pas que c’était aussi moche, cette architecture. Une place rue Greuze, il a de la chance… Elle a dit devant le musée de l’homme : devant, c’est en haut ou en bas ? Elle n’a pas précisé. Il est tout seul, ou presque, sur cette place déserte, immense. Quelqu’un en haut des marches, là-bas, à gauche, contre le pilier… Une femme qui quitte son poste, tourne le dos, et s’éloigne vers l’entrée du musée. C’est elle ? Pourquoi pas ? Mais les cheveux frisés… Une jupe noire, courte. Un spencer bordeaux. Des chaussures plates. Il aime bien les jupes courtes avec des chaussures plates. La femme disparaît un instant, et réapparait, elle scrute la place, peut-être le fixe-t-elle, lui, mais elle ne lui fait pas signe. Ça n’est peut-être pas elle mais en s’approchant, petit à petit : les yeux, les traits… Et puis le sourire, c’est vrai…

Gérard Sevin lève la tête vers la loggia du musée, commence à grimper les marches, et elle est là, devant lui, à deux mètres, à peine, qui s’apprête à descendre vers lui, c’est pas la peine : il doit filer aux toilettes. Comment la saluer, il ne sait plus, il est embarrassé, il hésite, lui tend la main, on ne sait jamais, et en même temps lui demande :

« On se serre la main ou on se fait la bise ? »

 Elle a pris sa main, l’a attiré vers elle et approché son visage pour les bises rituelles entre pairs.

« J’ai cru que tu ne viendrais plus.

-          Ah bon ? Tu m’excuses, j’ai une envie pressante. »

Quand il est revenu, elle avait l’air un peu pincé. Elle a fait, sèchement :

« J’aurais pu trouver mieux comme endroit pour t’attendre, je pense… »

Il ne sait pas ce qu’elle a voulu dire : elle était bien visible, ils ne se sont pas ratés ?

« Où on va ? », demande-t-il.

« La brasserie, en face ? C’est le plus simple, non ? »

L’un derrière l’autre, ils descendent et traversent, au rouge, l’avenue du président Wilson. Gérard Sevin entame un petit sprint de trois ou quatre enjambées pour échapper à un chauffeur qui ne semble pas vouloir céder son droit de passage. Louise, qui le suit, sent la voiture la frôler.

« Toujours indisciplinée, hein ? », lui lance-t-il, goguenard.

« Tu ne t’es pas engagé le premier ? 

-          Ah, t’as p’t-êt’ raison… », concède-t-il en poussant la porte de la brasserie et, s’adressant au garçon : « On peut…? », dit-il en désignant du regard la terrasse où pas un centimètre carré n’est perdu pour y entasser les consommateurs.

Les tables se touchent presque et les chaises, une fois occupées, barrent le passage. C’est qu’ici, dès les beaux jours, les touristes se pressent pour la vue sur la tour Eiffel depuis la terrasse du Trocadéro… Il s’installe. Qu’est-ce qu’elle fabrique ? Il se retourne, où est-elle passée, et il la voit là, debout, dans son dos, la mine consternée.

« Je fais comment pour passer ? A saute-moutons ? Ou je ressors pour entrer par l’extérieur de la terrasse ? 

-          Ah… », fait-il, voyant qu’elle est bloquée par les pieds enchevêtrés des lourdes chaises et des guéridons en fer forgé.

Sans hâte,  il se lève pour écarter son siège. Louise repousse la table, se faufile et s’assoit, sans commenter. A cette distance où elle est, rien n’échappe à Gérard Sevin : elle n’a pas beaucoup de rides, c’est étrange, mais un vaisseau éclaté sur la pommette droite et, aux commissures des lèvres, les marques de ses expressions habituelles, sans doute.

« Alors ?», demande-t-il.

« Alors ? … Par où commencer… Il y a des mise-à-jour à faire, hein ?»

Compagnons, enfants, la mise à jour est vite faite. Après, c’est plus compliqué. Elle parle des études qu’elle a reprises une première fois… Urbanisme… Urbanisme, qu’est-ce qu’elle raconte, il ne voit pas, elle n’a tout de même pas repris des études d’architecte ? Elle lui explique qu’on peut être urbaniste sans être architecte.

« Ah. »

Elle parle d’assistance aux communes pour leurs politiques du logement, d’équipements collectifs, de structuration de la ville, d’il ne sait quoi... Elle est confuse, non ? Mais quand même, elle reprend. Elle soupire, parce qu’il fronce les sourcils.

 « Socio ? », s’étonne-t-il, « Tu fais collection de peaux d’âne ? 

-          Un peu, si tu veux… »

Elle continue : les différents métiers qu’elle a faits, puis sa décision, enfin, de travailler à son compte, la protection de l’enfance, la décentralisation, la révision des pratiques, des actions, la mise à jour des besoins, la participation des acteurs… Tout un galimatias. Elle essaie sans doute de faire simple mais, heureusement, s’arrête là. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et si le numéro deux de l’électronique française n’y comprend rien… Gérard Sevin fronce les sourcils : elle n’est pas claire.

« C’est un petit boulot ? Ou quoi ? »

Louise a l’air perplexe. Ou choquée.

« Un travail indépendant, mais…»

Elle bafouille, tâchant de justifier l’intérêt de son activité, mais on ne la lui fait pas, à lui. Il en a connu, de ces consultants, plus ou moins technocrates. Indépendants, tiens : individualistes ! Incapables d’accepter la discipline des grandes entreprises. De supporter la hiérarchie. Des snipers.

« Alors, tu disais que t’avais rêvé de moi ?

-          Rêvé de toi… Si on veut. Tu ne m’as jamais fait rêver, en fait. Avant.

-          Ah ben c’est charmant !

-          Bon, je veux dire… Pour dire vrai, pendant très longtemps, je n’ai eu aucun souvenir d’aucun de mes rêves. Donc je ne t’avais jamais vu en rêve. C’est mieux, comme ça ?»

Louise a croisé les bras, sagement, et ne sourit pas, ou pas vraiment. Gérard Sevin la regarde attentivement. C’est étrange, elle souriait toujours, avant...

« Donc, j’ai eu un rêve… », reprend-t-elle péniblement. 

« I had a dream…

-          Si tu veux. Tu étais jeune, comme quand on s’est connus.

-          Dommage, y a que dans les rêves qu’on peut rajeunir… » plaisante-y-il.

Un rêve, il ne la croyait pas superstitieuse. Encore une histoire à dormir debout. Un vague sourire de connivence aux lèvres, Louise attend.

« Ouh-là, c’est sérieux… », fait Sevin en rejetant la tête en arrière, se rengorgeant dans un mouvement sorti du fond des âges, si familier, pourtant, à Louise.

« Oui, tout de même. C’est sérieux.

-          Tu me fais peur ! »

Il veut manifestement traiter par la légèreté ce qu’elle va lui raconter. Elle est décontenancée.  Lui, il est venu pour laisser tomber son masque de directeur d’Alsthom. Avec elle, il peut, non ? Retrouver la légèreté de leurs conversations d’il y a vingt et quelques années.

« Tu crois aux rêves prémonitoires alors ?

-          Ça n’a rien à voir avec un rêve prémonitoire, lui dit-elle, c’est juste un rêve qui a réveillé une vieille colère que je n’avais jamais exprimée. Je t’avais inhumé, tu vois. Pendant longtemps. Depuis que je t’avais revu, avec ta femme. Dans ta cuisine sur mesures et ton salon de bon goût.

-          Qu’est-ce qu’il avait, mon salon ?

-          Rien, des camaïeux de beige. Pas d’âme.

-          Ah ben dis-donc, c’est pour me dire ça que tu m’as fait venir ?

-          Non. Pour la suite.

-          Ah parce que ça va être pire ?

-          Différent. Ce rêve… »

Louise s’arrête, hésite…

« … Ce rêve m’a fait comprendre… », et prend son courage à deux mains : « m’a rappelé combien je t’avais aimé… Et quel mufle tu avais été, avec moi. ».

Elle inspire, soulagée peut-être :

« Je voulais te le dire.

-          Woh ! », fait Gérard Sevin en se redressant, le menton dans le cou.

« Tu ne te souviens pas ?

-          Non.

-          Non, ben non… Peu importaient mes sentiments, non ? Te rappelles-tu que c’était à moi que tu confiais tes peines d’amour avec Maryline ? Tes scrupules vis-à-vis d’elle ? Moi qui aurais eu besoin de temps pour savoir ce que j’éprouvais pour toi… Besoin de mieux te connaître… Te rappelles-tu que nous nous fréquentions assidûment ? Nous avions une étrange intimité, non ? Même quand tu sortais avec Maryline… Une intimité équivoque… Venise par exemple, tu te souviens ?

-          J’y ai pensé l’autre jour, quand tu as appelé…

-          Et cette virée chez tes parents ? Me présenter à tes parents, c’était pas équivoque ? ‘Une copine’. »

Le menton dans la poitrine, le front plissé et les lèvres avancées en une moue dubitative, Gérard Sevin recule de plus en plus le buste en arrière.

« Equivoque comment ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Louise a penché la tête, -tiens, il reconnaît cette expression-là, mi contrite, mi consternée -, et se demande d’évidence s’il faut vraiment qu’elle explique plus précisément ?

… Il la regarde, la fixe, ne la lâche pas. On ne dévisage pas les gens, lui avaient répété ses parents, d’accord, mais c’était tout de même la meilleure manière de savoir, les gens finissaient par lâcher la vérité. Immanquablement ils se demandaient s’il avait lu dans leurs pensées. La boule de cristal, hein... Ça devait être comme ça que marchait la voyance, les gens se troublent, perdent toute leur assurance, et se livrent.

« J’avais fini par t’aimer. A cause de tes confidences, à cause de ton obstination à me promener partout…Tu jouais à me sentir en ton pouvoir… A souffler le chaud et le froid. A me déboussoler. J’étais une souris sous ta patte de chat.

-          Qu’est-ce que tu racontes ? Je n’ai jamais joué avec toi !

-          Volontairement, peut-être. De fait, si. J’étais si seule. A côté de mes pompes, à côté de moi… Et puis tu prenais toute la place. Les lits, par exemple ! Te souviens-tu de tes dernières soirées à Paris, avant ton départ pour les USA ? Tu occupais mon petit lit. Je n’avais plus qu’à m’asseoir par terre. A tes pieds. De toute la soirée, tu ne m’as pas proposé, à moi, de m’allonger. Ce soir-là j’avais tellement envie d’être dans tes bras.

-          Ah oui ?

-          Ah oui ? …Tu ne pouvais pas ne pas le sentir… ça te manquait, cette dépendance. »

Et soudain un homme qui gagnait la sortie est là, tout près, qui oblique pour venir saluer Louise.

« Madame Grimaud ! », fait-il, jovial, « Je ne m’attendais pas à vous trouver dans le quartier ! »

Le visage de Louise s’est éclairé. Elle va se lever, mais le nouveau-venu s’empresse.

« Ne bougez pas, ne bougez pas ! »

Il a attrapé la main de Louise et la garde ainsi, longuement, enfermée dans les deux siennes.

« Xavier Germain, directeur de la Protection judiciaire de la jeunesse. », dit-elle en se tournant vers Gérard Sevin qui écarquille les yeux.

Puis, vers l’homme qui n’a pas lâché sa main :

« Gérard Sevin, directeur de la recherche et du développement d’Alsthom.

- De la … ? Police judiciaire ? », demande Gérard Sevin en regardant les lèvres de Louise.

« Non, pas tout-à-fait ! », réplique, en riant, l’homme que Louise a appelé Xavier Germain.

« De la -protection- judiciaire … », reprend Louise en articulant soigneusement, «…Ils s’occupent des mineurs, de leurs émotions, tu vois ? De leurs sentiments… Ils essaient de remettre d’aplomb les jeunes qui vont mal.» 

Elle a retiré sa main de celles de Xavier Germain, la pose sur son cœur et, sèchement :

« Cherche pas, tu connais pas… »

Xavier Germain, qui semble ne pas avoir prêté attention à la sécheresse de l’échange entre Louise et cet homme, à sa table, s’exclame, les yeux brillants :

« Vous m’avez tiré une sacrée épine du pied, hein ! Je vous dois une fière chandelle ! ...Je sors d’une réunion au ministère. Je vous raconterai… Je peux vous inviter à déjeuner ? Ça me ferait plaisir… »

Et Louise, instantanément :

« Quels jours vous me proposez ?»

Xavier Germain  a tiré son smartphone de son pardessus et balaie l’écran des yeux.

« Mardi la semaine prochaine ? Ou alors dans trois semaines, le lundi… Ou ce soir, après tout, si vous êtes libre ?

-          Ce soir, d’accord… »

 Louise s’est levée.

« Vous partiez ? Je vous accompagne jusqu’au métro ?

-          Volontiers. »

Déjà Xavier Germain écarte les chaises et lui tend son manteau. A Sevin, Louise fait un signe d’adieu nonchalant. Lui, la bouche ouverte, n’en croit pas ses yeux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



03/04/2020
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