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Les pierres du chemin. Extrait : Néolithique

 

Il fait très chaud en ce mois de juillet. Ce n’est pas que je sois allée bien loin : le kiosque à journaux est à une cinquante mètres de chez moi, mais ma petite promenade m’a donné soif. J’ai posé Le Monde sur la table pour me servir un verre d’eau et jette un coup d'œil aux titres. D’habitude, le jeudi soir, il n’y a pas grand-chose dans ces numéros d’été. Pourtant, aujourd’hui, tout de même, des informations de politique étrangère... : « Pourparlers très difficiles sur le dossier des infirmières bulgares... » ; « Varsovie pose ses conditions au traité européen » ; de politique intérieure aussi... : « Manuel Vall appelle à une réforme idéologique du parti socialiste ».  Et ça, tiens ? « Otzi, les secrets de la momie assassinée. ». Otzi... ? « L’homme des glaces »... Ah oui, cette momie que des randonneurs ont découverte dans les Dolomites il y a quelques années. Fascinant, tout de même... 5300 ans... « Néolithique.», dit le journaliste. Alors, voyons... Ce crime au néolithique. J’emporte mon verre, m’affale dans un fauteuil, croise mes pieds sur un tabouret et déplie le journal.  Page Sciences. « ... Une étude toute récente, publiée en juin, sème à nouveau le doute sur la nature de la blessure fatale à l’homme des glaces. ...L'équipe de l'Institut de Bolzano a identifié, dans le cerveau de la momie, une accumulation significative de protéines associées à la réponse au stress et à la cicatrisation des plaies. L'hypothèse d'une mort par traumatisme crânien, un temps évoquée, refait surface... »

Refait surface, pourquoi ? Voyons... : « Peu de temps après la découverte de la momie, le bruit avait circulé que l’homme des glaces avait été assassiné. On pouvait en effet voir une plaie sur son omoplate gauche, vraisemblablement faite par une flèche qu’on lui avait tirée dans le dos... ». Ah oui, c’est vrai, ça me revient... « Puis les investigations...un scanner très performant...  une fracture du crâne et un hématome au cerveau, mais surtout un large hématome autour de l’artère sous-clavière gauche, dont la paroi postérieure était lacérée ... par la pénétration de la pointe de flèche toujours visible à l’intérieur du corps. De quoi entraîner... » Bref : «  un choc hémorragique fatal... ». Fascinant tout de même... Une pointe de flèche fichée dans le dos... Dans le squelette... Qu’on retrouve 5300 ans après... Une flèche de pierre. Une pierre taillée... qui coupe et pénètre profondément les tissus, fracture les os à travers la chair... A travers les vêtements. « La reconstitution complète du crime n'est pas pour demain... ».  Cet homme, c’était un chasseur, certainement. Enfin... Semble-t-il... Il y a des doutes là-dessus aussi... Traverser les Dolomites en hiver... Un commerçant peut-être... Ou bien ...  Il avait sur lui de quoi se soigner... Stopper le sang par exemple. Un guérisseur ? Mais se protéger des pointes de flèche, non. Otzi n’avait pas de cuirasse...  Moi non plus, pour traverser les Pyrénées, et tenir dans l’orage, je n’en avais pas... Une pointe de flèche en pierre taillée... Hmm... Comme celle qu’il y a dix-huit ans bientôt, Cupidon fichait dans le cœur de Pierre.

 

D’une pierre deux coups. Trois, même. Empoisonnée, ensorcelée, la flèche fit des ricochets.  Un éclat de silex, coupant, dans mon cœur d’épouse ; un autre dans le cœur du fils. Et le mien déborda de larmes, et le sien saigna, à bas bruit, d’une hémorragie qui ne fût pas mortelle. Il fallait bien résister, il fallait bien tenir, l’un pour l’autre au moins, le fils pour la mère, la mère pour le fils, tenir contre elle et lui. Il me fallut tenir tête, tenir le siège, vivre sur mes provisions de souvenirs, de poèmes dédiés, de mots chuchotés, de sourires échangés, de tant de frôlements que nous avions échangés depuis notre toute première rencontre. L’éclat des yeux de Pierre... Son regard ne pouvait pas m’avoir trompée...  Mais quoi de plus fugitif qu’un éclat dans les yeux ? Quoi de plus sensible au vent... « Et il ventait devant ma porte[1] »...

 

« ...Pauvre sens et pauvre mémoire
M'a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente

Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m'évente
L'amour est morte... »

 

« Et droit au cul quand bise vente....». Ce vers m’a toujours gênée. Sa vulgarité. A notre époque, on ne parlait pas de « cul »... A notre époque : on dirait que je date du Moyen Âge ! C’est une vieille histoire maintenant pourtant...

« Pauvre sens et pauvre mémoire [2] », dernier assaut des sens déjà, oui c’est vrai, chez Pierre, non pas qu’il soit encore bien vieux alors, mais déjà, entre nous peut-être, l’amertume, celle qu’il accumulait de se voir, croyait-il,  sacrifié aux soins du fils... La lassitude. Le désir, le mien en tous cas, absorbé par la fatigue, l’inquiétude, meurtri par la souffrance de Mathieu. « Droit au cul quand bise vente... ». Ce fut en effet une telle bise, si glaciale, qui souffla dans nos vies, dans nos cœurs de père et de mère... Sur notre amour d’époux...

(...)

[1]   Extrait de la complainte de Rutebeuf (1230-1285) : Que sont mes amis devenus...

[2] Autre vers de la complainte de Ruteboeuf



20/01/2016
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