le-soleil-et-la-lune

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Un compliment

 Un compliment

 

 

J’ai relevé la mèche qui lui tombait dans les yeux. Il ne m’avait pas libérée, je ne m’étais pas écartée, j’étais encore entre ses bras. A l’instant, j’ai eu conscience de l’intimité de mon geste. De sa tendresse.

C’était moi qui l’avais invité, parce que nous avions déjà dansé ensemble. Sans doute avait-il pourtant repéré quelqu’un d’autre, car il se dirigeait dans la direction opposée. J’avais couru après lui, l’avais rattrapé et lui avais gentiment tapé sur l’épaule. C’était bien familier, un peu insolent même, tout à fait hors des règles de bienséance auxquelles souvent, en ces lieux, on est attaché. Il s’était retourné et m’avait reconnue. Il avait le rose aux joues comme un enfant qui, en hiver, a couru dans le froid. Il avait déjà beaucoup dansé.

-        Bien sûr, avait-il dit, et il m’avait enlacée confortablement.

J’ai posé ma tempe contre sa joue et, soudés comme des enfants siamois, articulés l’un à l’autre, nous avons accordé nos corps. Avec une souplesse et une douceur de chat, il m’a emportée avec lui ; il a tracé pour nous un chemin de courbes et de boucles, enchaînant avec aisance, sans fausse note interprétant la musique, inventant le contre-chant. Il ne précipitait rien qui m’eût bousculée, tout était coulé dans un dialogue courtois. De temps en temps, dans mon dos, sa main se faisait légère, dégageant mon buste, et ma main à moi glissait vers son épaule ; il s’effaçait à peine, imperceptiblement, juste ce qu’il fallait pour que j’aie de l’aisance, pour que je passe. Il attendait  et, lui s’enroulant autour de moi, moi m’enroulant autour de lui, il reprenait la marche, temps, temps, temps, toujours en mesure, provoquait un, deux, trois boleos, un gancho, un croisé, et me laissait le temps d’amortir l’impact du sol dans mes pieds. Il prenait garde à moi sans que jamais nous ne perdions ni le rythme ni l’accord.

-        Votre guidage est tellement agréable, remarquablement doux…, ai-je dit, le nez dans

ses cheveux que la sueur rendait humides.

-        On a ce qu’on mérite, me dit-il aussitôt et, quoique je sois en général tout à fait en

désaccord avec les dictons, je l’ai pris pour un grand compliment.

J’ai répondu, épatée : Wouah

Si les tangos avaient été moins vifs, et moins risqué de relâcher l’attention, j’aurais ronronné dans ses cheveux.

-        On le sent quand c’est bien !, m’avait  un jour dit une tanguera qui s’étonnait que

je dise à mes partenaires combien une tanda avait été agréable, Ce n’est pas la peine de le dire, il le sait.

-        Ça va sans le dire, mais ça va mieux en le disant, non ?, lui avais-je proposé, c’est la

cerise sur le gâteau !

Sa réflexion m’avait étonnée. Pourquoi cacher son plaisir ? Pourquoi opposer l’indifférence à l’habileté, à l’attention, à la douceur, ou bien au brio, voire aux prouesses dont l’autre a fait preuve ? Combien en coûte-t-il de les reconnaître, et même d’accorder une distinction à ces qualités tout de même assez rares ? Il ne s’agit pas de flatter, non, juste d’accuser réception et de dire merci.


 [CM1] je



28/04/2023
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