le-soleil-et-la-lune

Mégalithes

« Qu’en penses-tu ? Ce sera faisable pour Mathieu ? », m’avait demandé Pierre, qui avait soigneusement préparé le circuit. « J’aimerais qu’ils se rendent compte de l’ampleur du site.

- Quelle distance crois-tu que cela représente ?

- Approximativement quatre kilomètres... Evidemment ce serait mieux de commencer par le musée, mais ce serait trop pour lui…

- C’est certain… », avais-je confirmé.

Depuis bientôt cinq ans maintenant, Mathieu ne pouvait pourtant plus guère marcher comme un enfant de son âge. Ses genoux enflaient rapidement, et l’œdème mettait plusieurs jours à se résorber, l’obligeant à rester à la maison, immobile dans son transat, ses jambes enflées et douloureuses surélevées. Plutôt que garder la chambre, il restait dans le salon bibliothèque où nous nous tenions compagnie. L’école lui manquait, mais il rattrapait vite les leçons qu’il avait manquées pendant son absence. Pierre ne se faisait pas à l’idée que son fils de onze ans ne pouvait arpenter le terrain, comme il disait, et n’avait aucune endurance.

(...)

Nous nous étions mis à avancer entre les pierres qui faisaient comme une haie d’honneur à notre petit cortège. J’avais l’impression de marcher sur les pas d’un haut dignitaire à qui des soldats impeccablement rangés auraient présenté les armes. Que représentaient donc ces pierres de toutes tailles, des petites, des grosses, des bossues, des altières… Nous nous arrêtâmes au pied d’un grand menhir qui faisait bien trois fois la taille de Clément.

« Tout de même, », fit Pierre en hochant la tête, « quel effort monumental pour éterniser on ne sait vraiment quoi d’inutile alors qu’ils n’ont rien laissé comme trace de leur vie quotidienne…

- Tu vois Pierre, avec ton athéisme chevillé au corps ! La spiritualité, ce n’est pas vraiment utile au sens où tu l’entends, mais ça devait avoir plus de valeur que tout pour ces hommes-là.

- Si l’on est sûr qu’il s’agit d’une œuvre religieuse…

- De quoi d’autre pourrait-il s’agir ?», insistai-je.

« Je ne sais pas… D’une représentation de force… De la représentation du peuple de ce pays-là, pour impressionner des envahisseurs ? Que dit le guide Michelin ?

- Il évoque une origine sacrée… Liée au culte des morts, puisqu’il y a aussi des dolmens et des tumulus… Ah… : l’étymologie de Carnac serait un mot celtique désignant un amas de pierres sur une tombe… Carn… Encore aujourd’hui, il paraît que les Irlandais utilisent le génitif de « carn » pour parler d’une tombe marquée par un amas de pierres. Cairn…

- Ils ne parlent pas de la similitude avec Stonehenge ?

- Si, il me semble que si… Attends que je retrouve le passage… Oui, quand ils parlent des cromlech… Ils disent, ils disent… Attends… Qu’ici, les pierres de Kerlescan seraient orientées vers les levers d’équinoxe, qu’ici celles du site du Menech sont orientées vers les levers d’équinoxe intermédiaires, et plus loin, celles de Kermario, sur les levers du solstice d’été…

- Un culte au soleil…

- Pour celui qui fait le jour et la nuit…

- La pluie et le beau temps…

- Ce qui me laisse perplexe c’est que les hommes n’aient pas pu imaginer d’autre source de puissance qu’humaine pour se représenter les forces de la nature, tu vois…

- Oui, tu veux dire des Dieux qui ont faim et soif, des Dieux en colère…

- Ou des Dieux plaisantins…

- Des Dieux qui demandent du sang, qui demandent à un père de sacrifier sa fille…

- Ou son fils…

- Des Dieux au cœur de pierre… »