le-soleil-et-la-lune

A l’entrée de Pré-en-Pail, là où la nationale 12 croise la route de Couptrain, deux voitures cornent avec insistance. Depuis une bonne demi-heure, on ne peut plus passer. Les hommes qui se pressent au carrefour se sont bien un peu retournés pour les regarder, bloquées là, puis avec une nonchalance et une indifférence manifestes, on s’est détourné d’elles. Les deux chauffeurs, accoutrés de peaux de bêtes, ont vainement tenté quelques sorties, vociférants, gesticulant, mais rien n’y a fait. Marchands et vendeurs sont restés sur place, jambes écartées, sans bouger d’un pouce ; les bêtes ont balancé leur queue à droite et à gauche et ont raclé la route du sabot, d’un  mouvement nerveux où les deux olibrius en fourrure ont vaguement senti une menace. C’est la première fois que mon père m’emmène à la foire aux chevaux. Jusque-là, comme c’est toujours un jour de semaine, j’avais école. Tout à l’heure, les gamins dans les classes ont dû  entendre sonner les sabots des chevaux qu’on acheminait vers le champ de foire et les galoches des hommes marteler la route. Moi aussi, l’an dernier, j’avais hâte d’en être, mais ce matin, quand mon père m’a proposé une de ses blouses, devenue trop courte pour lui, j’ai refusé de me déguiser, comme j’ai dit.

« Dis donc mon gars, », m’a demandé mon père, « Qui c’est qu’ est déguisé ici ? 

- J’ai pas voulu dire que t’étais déguisé, papa…

- Non, mais tu l’as dit. Ah tu commences bien ! Va donc dire ça à la foire, à tes acheteurs, et aux vendeurs aussi, pendant que tu y es ! Si tu veux te distinguer, c’est pas en jouant les gars de la ville ! Tu n’ veux pas mettre des guêtres non plus, par hasard ? En attendant, enfile ça ! »

Et il m’a jeté sa blouse, froncée comme une jupe de fille, délavée à force d’avoir été lessivée.

(...)