le-soleil-et-la-lune

Quelque chose  me chatouille sous le menton, me démange. Une mouche peut-être. Sans ouvrir les yeux, parce que je me sens vraiment bien las, je tourne la tête de l’autre côté.   Maintenant quelque chose me pique l’aile du nez ; j’essaie de l’écarter de la main. C’est rêche, mais ça sent bon, ça me rappelle vaguement … Non, ça doit être un rêve, je dois me tromper… Ou bien j’ai déserté ? Mes paupières sont si lourdes… J’entrouvre péniblement un œil, redresse la tête… Qu’est-ce que je fais dans le foin ? Le sang cogne à mes tempes, les yeux me font mal. Je fais un effort pour les maintenir ouverts, pour reconnaître cette grange où je suis couché. Quelle heure est-t-il ? Qu’est-ce que je fais là ? Et tout d’un coup, ma poitrine se serre, je me souviens, j’étouffe sous la douleur, une douleur invisible pour laquelle on ne m’a pas donné de bandages. « Mais non t’as rien mon gars, t’es indemne. ». Indemne ? Avant-hier j’avais perdu Blaise, et Jules, et Albert, et tous les autres, et mes doigts, c’est vrai, mais j’allais retrouver Juliette. Depuis, j’ai tout perdu. Tout. Ou on m’a tout volé. Fallait-i’ qu’ils m’aient tous enterré bien vite… Mon pauv’ frère… I’ s’est p’t-être pris pour un sauveur, à son tour ? « Fallait bien qu’ quelqu’un endosse la paternité d’ la p’tiote ! » Eh ben comment don’ ! Soi-disant fragile… Dire qu’il a toujours fallu le protéger. Ah, il a pris une belle revanche … Mais qu’est-ce que je fais là pourtant ? Bon sang, ma tête… J’ai pris une de ces cuites… Sous mon poignet, un petit tas plus doux que le foin… Du tissu ? Ma chemise. Ma chemise en boule, ah, il va pas être content, l’ capitaine… Non, je déraille, y a plus d’ capitaine… Et mon pantalon, qu’est-ce qu’il fait là bas mon pantalon ? Pourquoi j’ai enlevé mon pantalon ? Pourquoi est-ce que j’ai plus rien sur moi comme ça ?... La Clémentine, ça me revient. J’suis parti avec la Clémentine ; elle tâchait d’ me traîner. J’étais saoûl, ah bon Dieu, qu’est-ce que je tenais…

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