le-soleil-et-la-lune

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La Faute à Voltaire, extrait : "Permission de Louis"

(...)

Dans sa première lettre, Georges m’a dit que Blaise a eu cette chance d’être versé au service automobile ; qu’ les nouvelles sont bonnes. Au moins, y en aura un ou deux à r’venir vivant, p’t-êt’ ? Y a p’t-être pas trop d’ risques pour Etienne non plus ? Lui, à part qu’il est à la quatrième section de commis, je n’ sais pas c’ qu’i’ d’vient. Il a dû s’ débrouiller pour envoyer des nouvelles de temps en temps, tout de même, p’t-êt’ par l’instituteur justement, ou par Gaudré, p’t-êt’… Celui-là, il doit faire le facteur plus souvent qu’il n’ veut, avec les quatre gars qui sont partis, et avoir du boulot, avec tous les apprentis qu’ le père Guichard n’a pas dû manquer d’ prendre. Les commandes ont dû affluer, avec les bidons et les gamelles qu’on consomme ici… Les gamelles et les bidons… J’ me mets à siffloter ;

« Des pelles, des pioches,

des vis et des boulons

des gamelles et des bidons… »

Nous l’a-t-on fait assez brailler, c’tte chanson là, à l’instruction ! Bande de crétins… D’ la musique comme ça, j’ t’en donnerais… Des navets dans les mollets ! Et v’la qu’ j’entends, dans l’ compartiment d’à côté, des gars qui r’prennent :

« des carottes dans l’ ventre,

des navets dans les mollets. »

Ah, y avait pas intérêt à en avoir, des navets dans les mollets, avec les kilomètres qu’on nous a fait faire pour rien, l’ bardas su’ l’ dos ! Quant aux carottes dans l’ ventre, on aurait bien aimé en avoir plus souvent. Combien de fois on n’a pas mangé d’ deux ou trois jours ?

« Et toi qui va arriver en plein carême, pas d’ chance ! », m’avait dit Emile en rigolant.

« Tu sais chez moi c’est un peu carême toute l’année. »

I’ d’vait s’en douter un peu, puisque moi, j’ai jamais r’çu d’ colis. J’ suis allé voir les voisins d’ compartiment qu’ont marché au pas p’us qu’ils n’auraient voulu, sûrement, su’ c’ magnifique rythme des gamelles et des bidons, des carottes dans l’ ventre, des navets dans les mollets. C’est un gars d’ Laval et un ardoisier d’Renazé. Ils sont d’ la même compagnie. On a fait l’ voyage ensemble jusqu’au Mans. On a parlé d’ rillettes, de pâté, d’ tripes, d’andouilles, et de toutes les bonnes choses qu’ils comptaient r’trouver à la maison. Le gars d’ Laval travaille chez Besnier. Celui qu’est ardoisier m’a fait un clin d’œil en donnant un coup d’ coude dans les côtes de l’autre :

«Lui,  i’ r’çoit du fromage toutes les s’maines ! 

- Mais il en profite ! », a répondu l’ fromager.

J’pense à tout c’ que j’aime, moi, comme les pissenlits aux œufs durs… Là haut, ça prolifère. Un jour, j’en ai ramassé mais j’ ‘ ai pas pu les manger : je n’ pouvais pas m’empêcher d’ penser à tout ceux qui les mangeaient par la racine ; c’était tout d’ même  d’ la graine de cadavre. J’ leur ai d’mandé comment ça s’ faisait qu’i’s étaient tout deux en permission en même temps.

(...)



25/02/2015
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