le-soleil-et-la-lune

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« T’es sûr d’pas entend’ les chouettes te poursuivr’, la nuit, mon gars Blaise ? », demande Gaudré, qui emplit les verres et préside à la table où Etienne se tient à distance respectable. La voix d’outre-tombe qu’a prise le ferblantier  tranche avec le ton habituellement enjoué de l’homme. Georges Landais le connaît bien : il a la langue bien pendue ; c’est lui qui, régulièrement, va trouver le père Guichard pour tâcher de demander des comptes, une avance pour l’un ou pour l’autre, expliquer la baisse de rendement d’un gars qui vient de perdre sa femme ou d’un père endeuillé. Il est à peu près le seul, avec Sévin, à tenir tête au patron. Ces deux là sont allés à l’école, et n’ont pas les deux pieds dans l’ même sabot. Ils ne boivent que ce qu’il faut, seulement quand il faut trinquer avec d’autres. A la pause, ce sont eux qui servent les autres, comme si la bouteille leur appartenait. En fait, ils prennent garde que personne ne revienne au travail chancelant. Ca coupe, le fer blanc, et ils se souviennent du père Lévèque, de l’entaille, pas belle à voir, qui s’était mal terminée pour lui, et d’autres, qui y ont laissé seulement les doigts. Gaudré et Sévin sont astucieux et aiment le travail bien fait ; ils maintiennent la production de l’atelier à un certain niveau de qualité, qui oblige les autres à se mesurer à eux. Il a beau les traiter de grandes gueules, le père Guichard est bien obligé de les tolérer. Blaise a ri de bon cœur à la plaisanterie de Gaudré, qui a sorti Etienne de sa vague rêverie. Le gamin écoute, intrigué. Depuis qu’il est chez Guichard, il a beaucoup entendu de ces histoires d’oiseaux de nuit, sans rien y comprendre au début, jusqu’à ce qu’un jour il entende son frère Louis réciter à Alphonse le résumé de sa leçon d’histoire.

« Tu comprends, », expliquait Alphonse, « C’était un nid de chouans, la Mayenne ! La République, ils ‘ en voulaient pas ! »

Louis avait semblé réfléchir.

« Oui mais Bonaparte, il va devenir empereur ; c’est pas la République, et il les écrase ? »

« Bon, », avait répondu Alphonse pour couper court, « Tu demandes à ton maître. »

Mais Etienne lui en avait demandé plus sur ce nid de chouans qu’il y avait donc eu par là, et Alphonse, grand seigneur, avait consenti à lui répondre.

« Moins par là, il paraît, dit l’instituteur. A l’Ouest et au Sud de la Mayenne. Y avait de tout là dedans, paraît-il, des gens qui trafiquaient le sel, des gens qui n’pouvaient pas racheter les terres confisquées aux châtelains, tous ceux qu’étaient influencés par des curés qui n’voulaient pas prêter serment… »

- Prêter serment ?

- Ben l’ serment d’obéir à la République, je crois. »

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