le-soleil-et-la-lune

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Les Goisneau, extrait du chapitre 13. Retrouvailles.

 

 

Rachel Goisneau n’a plus de voiture depuis longtemps ; elle a pris le train. Sa sœur est tout de même venue la chercher à la gare. Elles ne se sont plus parlé depuis la mort de leur père. Elles se font la gueule.

« T’as pu faire trente kilomètres cette fois-ci ?

-                     Trente-deux.

-                     Ah pardon. Trente-deux. Quel effort !

-                     Je trouve.

-                     C’est sa voiture ?

-                     C’est sa voiture.

-                     Tu as déjà hérité ?

-                     Et de bien d’autres choses encore…

-                     Ah, en plus ?

-                     En plus… Merde ! », râle Camille Goisneau à la sortie de la ville.  « J’ai encore raté l’embranchement ! » 

Elle est nerveuse. La présence hostile de sa sœur, à côté d’elle. Le silence. Du Goisneau pur jus.

« Tu boudes aussi bien que maman…

-                     Merci. C’est charmant.

-                     Je t’en prie.

-                     … Ça va être comme ça tous les jours ?

-                     Sauf miracle. Mais enfin, bon, c’est pas le genre de la maison, les miracles.

-                     Je me demande ce que je viens faire là.

-                     T’étais pas obligée, hein… »

Rachel, consternée, branle du chef et hausse les sourcils.

« Pour ta bonne conscience… », continue sa sœur qui fait les demandes et les réponses.

« Tu parles comme un curé.

-                     N’empêche… C’est pour qui ta présence ?

-                     C’est pour qui ma présence… », répète Rachel en imitant sa sœur.

« Ben oui... C’est pour elle que tu étais venue à l’enterrement de papa… Alors pour le sien, tu viens pour qui ? »

Rachel ne dit rien, réfléchit sûrement, ne trouve pas.

« La question, c’est peut-être : c’est pour qui ce spectacle ?», reprend Camille au bout d’un moment, « La question pour nous deux, je veux dire…

-                     Ce spectacle ?

-                     L’enterrement, oui. Enfin, le funérarium, le cimetière…

-                     Pppp », fait Rachel, de l’air de se foutre pas mal de trouver la réponse.

« Ben oui, la cérémonie, comme on dit… Donc ?

-                     Donc ?

-                     Remarque on fait plein de choses qui s’adressent à des absents…

-                     Ta philosophie à deux balles. Epargne-moi ça.

-                     Toujours aussi aimable. »

Camille Goisneau a jeté un regard à sa sœur ; son chemisier trop serré sur ses bras, sa jupe à franges en tissu doré.

« Ça conserve ? Pas sûr…

-                     Bon. Tu me laisses à l’hôtel en arrivant. L’hôtel du Parc, il existe encore ?», débite Rachel à toute vitesse.

« Il existe encore. C’est comme tu veux… Pas donné.»

Elles roulent en silence quelques minutes. Soudain Camille jette à sa sœur un regard ironique.

« Tu ne pourras pas me surveiller si tu dors à l’hôtel… Je peux tout escamoter dans la maison... 

-                     Si tu veux.

-                     Rien à récupérer ? Quitte à ce qu’on soit là toutes les deux, autant commencer l’inventaire, non ?

-                     Moi ce qui m’intéresse, c’est de décider comment on va faire pour la vente. J’ai besoin d’argent.

-                     Je sais. »

Ce que Camille Goisneau sait des finances de sa sœur, elle le tient de sa nièce ou de sa mère, qui lui ont appris le divorce, inattendu, précipité, puis le remariage, avec un Egyptien de vingt ans son cadet rencontré parmi les migrants qu’elle alphabétisait. Elle faisait ça depuis sa retraite.

« Evidemment, c’est pour avoir ses papiers. », commentait madame Goisneau, « Pffft, la pauvre fille, qu’est-ce qu’elle croit ? »

Rachel Goisneau a toujours été une grande amoureuse. Elle s’est enflammée, en deux temps trois mouvements, pour les hommes qu’elle a suivis, ou choisis. Mariages, enfants, tout, vite. Des décisions tellement plus laborieuses pour sa sœur. Ecrasée par la durée de l’engagement ou, peut-être, incapable de tomber amoureuse. D’aimer ailleurs. Ailleurs que sa mère. Onzième commandement : ‘Tu n’aimeras pas ailleurs’. Ou ‘tu aimeras ton père et ta mère, personne d’autre, t’entends ?’, ou ‘Tu ne détourneras pas d’eux l’amour que tu leur dois, hein ?’. C’est plutôt ça. D’ailleurs madame Goisneau le leur avait bien dit, à ses filles, ‘l’amour c’est du cinéma !’.

 

« Et les flics ? », lâche Rachel brutalement.

- Non, les flics c’est fini, puisqu’ils l’ont transférée aux pompes funèbres.

- Où c’est ?

- Pas très loin de l’hôtel du Parc, à pied, si tu persistes à aller dormir là-bas. C’est sur la route de Mazelle, après le lotissement… A trois ou quatre cents mètres de la maison.

- La maison… », souffle Rachel, nerveusement, « On dirait que c’est la tienne… Je me demande pourquoi ils ont fait une enquête…

- Ils sont obligés, paraît-il, dans les cas de mort violente. Ils vérifient…

- Oui, bon, en même temps, les chutes…

- Et puis ici ils s’ennuient… Ils s’inventent des romans policiers, avec de grands criminels, de dangereux délinquants… On croirait qu’ils n’ont que ça à faire.

- Tu crois qu’ils nous ont soupçonnées ?

- Ben de vilaines filles comme ça, qui laissent leur vieille maman toute seule… Pressées de toucher l’héritage, normal…

- Non ?

- Ça les a occupés quelques heures. 

- Ben tant mieux pour eux… Où est-ce qu’on peut manger ici ?

- A la brasserie. Ou à la cafeteria du centre Leclerc… Ou à la maison.

- Il y a quelque chose à manger là-bas ?

- Des sardines. Des pommes, peut-être. Des pâtes ?

- Un festin… Ça fait envie…

- Bon. Alors ? Je te laisse à la brasserie ou tu manges avec moi ? Pas de problème si on mange chacune de notre côté. Moi ça ne me dérange pas. 

- Bon, alors on va à la maison, ce sera plus simple pour voir ce qu’il y a à faire. Gagnons du temps, que ça ne s’éternise pas, cette affaire-là. Faut faire faire des estimations de la maison. Aller voir les agences.

- Pas la peine de le faire à deux. Suffit qu’on se mette d’accord maintenant : qui va faire quoi. »

La pente qui mène au garage, virage, freinage nerveux juste devant la porte. Camille cherche la clé sous le pot de fleurs.

« Tu parles d’une cachette ! », ricane Rachel.

« J’ai fait faire une clé en douce, un jour, mais je ne sais plus ce que j’en ai fait.

-                     Ah, ah ! Tu dis ça, mais tu l’as jetée après t’être introduite dans la maison pour pousser ta vieille maman dans l’escalier…

-                     Ah, ah. »

L’accès par le garage, c’est le point faible de la maison. Une petite serrure d’armoire, aucun renfort, une porte coulissante qu’aucun rail ne guide et dont les pans s’enfoncent quand on force pour ouvrir, parce que la porte accroche.

« Elle m’avait refusé la voiture quand j’étais venue avec Mehdi…

-                     Oui je sais.

-                     Sous prétexte que je n’avais pas conduit depuis longtemps…

-                     Oui je sais. ‘La confiance règne’, comme elle disait.

-                     Je pestais.

-                     J’imagine.

-                     T’imagines, mais t’as rien dit, comme toujours.

-                     Non… Que voulais-tu que je dise ?

-                     Je ne sais pas. Je ne sais pas… ‘Tu fais tout pour qu’on n’ait pas envie de revenir te voir, décidément ?’, ou quelque chose comme ça… Quelque chose comme ça… Ou : ‘Tu n’as rien trouvé de mieux pour qu’elle ne revienne plus ?’.

-                     Hmm… », concède Camille rêveusement.

« Ah évidemment tu te serais exposée… Pas ton genre, hein.

-                     Nous y voilà. Non. Pas mon genre. Si tu veux.

-                     Je t’en veux de ta lâcheté.

-                     Hmm…

-                     Si au moins on avait été deux à lui dire son fait ! », reprend Rachel que la réponse laconique de sa sœur exaspère.

« Son fait… Toi non plus tu ne le lui disais pas, son fait.  Tu criais, tu trépignais… Comme elle !», s’agace Camille, «Ça ressemblait à un combat de coqs…

-                     Ça valait mieux que ‘pigner’…Tu te souviens qu’elle te disait : ‘Arrête de pigner’ ?

-                     Ah non, j’avais oublié. Charmant.

-                     T’étais morte de trouille. »

 

Elles se taisent. Elles se rappellent. Elles partagent ça, les souvenirs d’enfance. Les témoignages. Et Rachel, radoucie :

« Tu te souviens le jour où elle t’avait giflée en te tenant par ta queue de cheval ?  C’était pratique pour viser, remarque…

-                     On appelle ça des allers-retours…

-                     Elle avait laissé la marque de son alliance sur ta joue. Ça l’avait embêtée… C’est pas comme si t’avais eu une tête à claques… Moi, on aurait compris, mais toi ? …Tu étais toute rouge…

-                     Marbrée… », précise Camille.

« Des sanglots à gros bouillons… On aurait dit que tu allais suffoquer… »

 

Sans y prendre garde, Camille a ralenti. Un jour, c’était vrai, il y avait eu de la solidarité. De la compassion même. (...)



09/09/2019
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