le-soleil-et-la-lune

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La Faute à Voltaire, extrait : "Conseil de guerre"

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« Eh, mon gars, eh, mon gars, réveille-toi, réveille-toi, tu fais un cauchemar, tu fais un cauchemar, réveille-toi ! ». C’est une voix de l’autre côté d’ la cloison qui m’a sorti d’ là : au lieu du gars qu’on a fusillé hier matin, j’ rêvais qu’ c’était moi qu’étais ficelé au poteau, les yeux grands ouverts, et au dessus du canon des fusils pointés sur moi, y avait Juliette qui visait, et à côté d’elle je découvrais les yeux de monsieur Baron, et encore à côté, les yeux noirs de monsieur Coutance, et l’officier, c’était le docteur Goupil qui disait : « En joue ! ». Et pas un cri, pas une hésitation. Tous ceux qui m’aimaient bien, qui s’ retrouvaient ensemble pour me tuer, moi, qui m’ tiraient dessus, pas un pour refuser, et pourtant personne derrière pour les voir au cas où ils m’auraient aidé à m’en sortir, aucun galonné pour les épingler, pour les arrêter, pour les ficher au trou, pour les menacer. Rien qu’eux pour décider. Eux tout seuls. Et madame Baron prête à récupérer mon sang dans un bassinet de zinc comme on en fait chez le père Guichard, avec mon frère accroupi à côté d’elle, qui r’ commandait de n’ rien perdre, parce que c’était ça qui donnait l’ meilleur boudin... Et Juliette. Et Juliette tout comme les autres, qu’avait même un regard si tendre pour me descendre, comme si elle me disait : « Mais si, mais si, je sais bien ce qui est bon pour toi ! » Cinq lettres, j’ai reçu cinq lettres depuis l’ mois d’ mai, et j’en ai envoyé dix. Moi, j’ n’ai qu’ ça à faire quand on n’ nous fait pas galoper « Sus à l’ennemi ! », et elle, elle les écrit à l’heure du déjeuner et les poste en sortant de l’atelier. Qu’est-ce qu’elle va don’ s’ dire de n’ plus rien r’cevoir ? Comment je vais don’ pouvoir l’avertir que je suis au secret ? Y a plus d’Emile pour deviner c’ qu’i’ faut faire, y a plus d’ Paul, dans c’ qui reste d’ cette compagnie, y a pas d’ dégourdis, y a qu’ des empotés. D’êt’ malin, au front, ça rapporte tout juste d’être en première ligne, d’ passer soldat d’ première classe, d’ faire partie des « soldats d’élite », i’ paraît qu’i’ marquent ça sur not’ fiche, pour nous confier des missions impossibles. Quelle chance d’être un imbécile, des fois Et là, les gars du p’loton, i’ vont pas l’avoir, leur croix d’ guerre, pour acte d’héroïsme ? Ils en ont déjà filé plusieurs, paraît-il, aux gars qu’ont eu « l’ courage », comme i’ disent, « de nettoyer la tranchée d’en face », mais qu’ont pas eu l’ choix. Et là, pour avoir liquidé un dangereux récalcitrant, ça n’ mérite pas la croix d’ guerre ? Là je proteste, je proteste ! I’s ont pas sauvé le moral des troupes ? Ils ‘ ont pas bien mérité d’ la patrie, d’ la patrie mise en danger par ce pauv’ gars qui, quoique mort de trouille, était quand même encore vivant. Un gars qu’avait l’ bon sens d’ vouloir rester vivant… Pour quoi faire, ça on n’ sait pas d’avance, mais au moins pour avoir le temps de voir venir. Comment je vais prév’nir Juliette ? Quand j’ pense que dans mon rêve, elle m’ fusille, comme les autres, sans sourciller. Faut qu’ je vois qui est l’ planton, y a pas qu’ des mauvais gars, y en aura bien un pour me passer un bout de papier et un crayon et pour donner ma lettre à poster à un permissionnaire. Qu’est-ce qu’i’ risque, lui, pas le conseil de guerre, tout juste quelques jours aux arrêts...

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25/02/2015
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