le-soleil-et-la-lune

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La Faute à Voltaire, extrait de l'exposition de la coopérative de l'école

(...)

J’ai fait le tour du préau, ça faisait tout drôle de retrouver là des ouvrages comme en faisaient mes sœurs, des abécédaires brodés de rouge, ou de vert, ou de toutes les couleurs, ornés de petites fleurs, enluminés, comme aurait dit l’institutrice, et tendus dans des cadres que monsieur Talent avait offerts. Il y avait aussi des vêtements de bébé, des robes de baptême, des bonnets, des béguins, de la layette en laine, de tout petits bottons, des draps et des nappes brodées, et au milieu de tout ce linge, une longue et étroite bande de toile beige, presque grise même,  aux extrémités en pointes, sur laquelle s’entrecroisaient des guirlandes brodées de fleurs multicolores et de petits rubans fauves. A chaque bout, la brodeuse avait dessiné une corbeille d’osier aux formes élancées, débordant de fleurs allant du jaune clair au fauve presque brun en passant par toutes les nuances de l’orange. Je me suis approché pour examiner ce qui produisait ce relief, cet effet si brillant, si lumineux, et madame Coutance, ravie de l’intérêt que je portais au travail de ses élèves, s’est coulée près de moi, en se voûtant comme elle fait souvent pour se faire encore plus petite qu’elle n’est.

« Hein, c’est quelque chose, pas ? »

J’ai hoché la tête, en avançant les lèvres dans une moue d’approbation. L’institutrice s’est encore rapprochée de moi, a glissé son bras sous le mien, et s’est mise à chuchoter délicatement pour m’inviter à regarder de plus près combien la broderie était serrée. « Regarde, elle a changé de fil pour les pétales d’une même fleur, ou pour le cœur de la fleur. »

Elle pointait du doigt, pour moi, une fleur qui débordait de la corbeille, puis une autre, et une autre encore. « Regarde, il n’y a pas une feuille de la même couleur… » En vérifiant que je la suivais toujours bien, elle posait son doigt sur une autre petite fleur. «Et tu vois, hmmm, la quantité de pétales que chaque fleur comporte ? ». Et  elle s’est mise à compter pour moi :

« Au moins vingt ! Et combien de points pour chaque pétale ? 

- … Qu’est-ce que c’est ?

- C’est un chemin de table.

- Ah. Un chemin de table ?

- Ben oui, nigaud, pour poser sur un grande table bien cirée, ou sur un buffet bas, éventuellement, tu vois ?»

Je m’ demandais si je voyais. J’ cherchais à imaginer si j’avais bien pu voir une table comme ça quelque part. Au presbytère peut-être, oui, sur la grande table astiquée de mad’moiselle Berthe ? Ou, si : chez madame Landais ! Un un jour que j’étais allé chercher  Blaise pour partir à la pêche, les pieds sur des patins, j’avais entrevu sa belle salle à manger, par la porte restée entrouverte sur le couloir où j’attendais. Il y avait une bande de tissu comme ça au milieu de la table, avec un vase de roses posé dessus, les roses que monsieur Landais apporte à sa femme tous les dimanches… La pièce m’avait paru tellement claire, et le bois si blond, si neuf que j’en avais rêvé le soir en m’endormant dans l’alcôve sombre que je partage avec Etienne depuis qu’Alphonse est parti.

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25/02/2015
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