le-soleil-et-la-lune

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Il va partout où l’on danse. D’une pierre deux coups, les festivals de tango lui donnent, dit-il, l’occasion de faire un peu de tourisme. Moi qui, souvent, ne sais pas donner d’âge aux gens, en conclus qu’il est en retraite. Ou alors il est rentier… Pourquoi pas, l’habit paraît-il, ne fait pas le moine. Du côté de la mise, il ne joue pas non plus les hidalgos. Mocassins et chemisette à carreaux. Il aime bien les carreaux, me semble-t-il. Pas non plus de longues enjambées assurées, pas d’assaut ; il approche à petits pas.

 

« Ah je suis désolé, je ne danse pas la milonga. », m’avait-il dit un jour que, connaissant encore peu de danseurs et l’ayant beaucoup apprécié quelques semaines auparavant, j’avais traversé la salle pour aller l’inviter. Surprise, étonnement : cet homme au contact facile tenait-il aux convenances ? Il ne m’avait pas semblé, lorsqu’il avait dansé avec moi, qu’il était de ceux qui croient faire grand honneur à une femme en l’élisant pour trois petits tours entre leurs bras. Il n’avait pas, je crois, utilisé le cabeceo, ce léger hochement de tête qui, en Argentine, fait office d’invitation et dont la discrétion est si grande qu’il faut une certaine expérience, une bonne vue, et suffisamment de lumière pour le remarquer. Mais, quelques tandas après avoir refusé mon invitation, il s’était déplacé vers moi, pour une valse, ou un tango, je ne sais plus, et il m’avait tendu la main. Je l’avais prise ; j’aime bien qu’on me tende la main. Vite, autour de la mienne, il avait placé ses doigts, d’une manière bien à lui, particulière.

 

Il me tenait fermement, à distance ; il préférait, de toute évidence ; peut-être, au début, à cause de mon inexpérience. Silence, concentration sur le dialogue des corps, nous faisions connaissance : notre façon de nous déplacer, la fermeté de son guidage, notre énergie, notre façon de bouger. Il patientait, acceptait que je le fasse attendre, et reprenait sa marche sur les temps forts. Des figures inconnues, sans accroc. Étonnement. Surprise. Sans doute, il avait estimé mon adaptabilité à sa juste mesure. J’appréciai. Quoique le peu de souci qu’il avait d’être remarqué ne le poussât pas au spectaculaire, de temps en temps, il me proposait une figure nouvelle, puis me félicitait pour la facilité avec laquelle je me laissais faire et nommait pour moi ce que nous venions de faire…

« C’est que vous m’inspirez confiance. », lui expliqué-je.

 

Plus tard, quand nous avons été plus familiers et qu’il a senti que j’étais plus expérimentée, il s’est souvent amusé, avec mon assentiment, à tester de nouvelles figures. Parfois cela ne passait pas, il s’arrêtait, m’expliquait ce qu’il avait voulu faire, réessayait.

« Bah, une prochaine fois ! », suggéré-je régulièrement.

Je n’aime pas trop qu’il interrompe ainsi la danse. Cela donne de l’importance à l’hésitation, on perd le fil de la mélodie, un peu comme si on avait coupé une maille de tricot, mais il le fait avec tant de coopération que je me sens élue partenaire. D’ailleurs, s’il arrive que nous nous retrouvions à peu de temps d’intervalle dans des milongas où nous nous sommes donnés rendez-vous, il a de petites attentions évidentes : un article de journal découpé à mon intention, une minuscule fiasque d’alcool rapportée d’un pays lointain, les références d’un livre qu’il a notées pour moi.

 

Comme nous fréquentons rarement les mêmes lieux, et qu’il court les festivals, nos rencontres sont assez espacées. Dommage, mais même à distance, nous retrouvons cette familiarité chaleureuse qui tient sans doute à la simplicité de nos échanges, et à la confiance que nous nous inspirons l’un à l’autre.



02/12/2017
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