le-soleil-et-la-lune

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Je m’étais d’abord étonnée qu’un danseur d’évidence expérimenté ait choisi comme partenaire régulière cette femme dont j’avais connu les tout premiers pas, fort maladroits, en tango. Elle était de celles qui se dispensent d’un parcours d’apprentissage laborieux et onéreux dans des cours pour débutants d’abord, puis pour intermédiaires, puis pour intermédiaires-avancés, avancés enfin, et attendent de leur partenaire que, sans différer, il les fasse danser, comme il est possible dans certaines danses, si l’on a le sens du rythme et la souplesse nécessaires. Or elle semblait ne disposer ni de l’un ni de l’autre et s’ennuyait visiblement en dansant. Par-dessus l’épaule de son partenaire, elle regardait distraitement dans le vide, et répondait docilement à son guidage, souvent complexe, se pliant aux positions qu’il imposait, et qui paraissaient fort inconfortables ; sans souci du tempo, sans grâce, elle soulevait les pieds quand il précipitait le mouvement, passait par-dessus sa jambe, repliait la sienne, et allait ainsi, mécaniquement, jusqu’au bout du tango, de la tanda, de la soirée. Du début jusqu’à la fin, consciencieusement, peu concernée. Lui, dansant presque exclusivement avec elle, semblait ne pas s’en émouvoir. Il aimait tordre son corps en vrille, et procédait à des enchevêtrements surprenants de bras et de jambes, supposés provoquer en miroir, des figures non moins spectaculaires. Il en résultait surtout de mauvaises surprises, des crocs-en-jambe, des ressauts, parce qu’il imposait de rattraper le rythme, malmené, et qu’il ne faisait pas corps avec sa partenaire.

 

Un jour il commença à m’inviter, de temps en temps. Il semblait ne pas sentir mon tempo, ma manière de me déplacer, ma volonté de suivre la musique ou de ne pas me laisser secouer. C’était éprouvant. Je ne faisais guère mieux, sans doute, que sa partenaire habituelle, mais je lui demandai un peu de douceur, un peu de patience, et manifestai mon peu de goût pour certaines figures inconfortables. Il eut un sourire d’excuse et j’eus conscience qu’il essayait de se réfréner. Peut-être parce que j’avais donné à mes reproches des airs de dialogue avec un dresseur de chevaux, peut-être aussi parce qu’il ne devait pas me traîner puisque j’essayais de suivre la musique, il ne m’en voulut pas et me réinvita.



02/12/2017
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