le-soleil-et-la-lune

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Tango, paillettes, tocs et couacs

Tango, paillettes, tocs et couacs

 

Ah le tango… Y a la poésie, ah la poésie… Y a l’allure… Ah l’allure… Les jambes des jeunes femmes, nues dans des escarpins dorés, ou gainées de bas à résilles ; les bras, qu’elles déploient si gracieusement, si lentement, avec tant de délicatesse que c’en est affecté, puis que l’on pose sur l’omoplate de son partenaire, parfois derrière son cou, pour mieux le plaquer contre soi, l’empêcher de s’échapper, de s’écarter, l’obliger à faire corps, sentir comment il bouge, les bras, nus, parfaits, doucement galbés… Les mains, baguées, soignées, gantées parfois, -de résille, elles aussi-, contrastant sur le tissu sombre des vêtements des hommes. Les mains, posées, comme sur un volant, à la base du triceps, branchées, transmettant aux épaules, aux torses, les mouvements de l’autre, de tout son corps, ses vibrations, sa solidité, son énergie, sa tranquillité, son assurance ; seul contact, parfois, entre les partenaires qui se tiennent à distance, pour des figures acrobatiques, pour plus de liberté, petits pas précipités en reflet les uns des autres, jeux de balancements réciproques, ou autres inventions malicieuses et complices que seuls autorisent les hommes qui acceptent de se laisser surprendre par la fantaisie de la femme, de perdre la main, momentanément, pour mieux la reprendre, les seuls hommes qui peuvent s’adapter comme, dans le tango, le doivent toujours les femmes. Les yeux fermés, comme pour mieux rêver, les mines extatiques. Tango idéal des corps sveltes, souples, harmonieux, accordés, confiants, accueillants.

Ah, le tango… !

Des femmes apprêtées, maquillées, enturbannées, métamorphosées, enguirlandées, scintillantes dans leurs robes à paillettes, à fronces, à volants, à queue... Des bras parfois un peu trop gras, un peu trop flasques, mais qu’on montre quand même, comme les autres, comptant sur la pénombre des salles de danse. Des mains qui s’accrochent, craintivement, au biceps du partenaire, de peur de perdre l’équilibre. Des jambes, lourdes parfois, ou torses, dont les chevilles ne peuvent pas se joindre. Des jambes qu’on déplace, qu’on traîne, qui obéissent. Des visages mornes. Des mines ennuyées. Des regards éteints.

Des hommes qui balancent incessamment, ou sautillent, et même les deux. Des hommes qui manipulent leurs partenaires comme des marionnettes, à droite, à gauche, arrière, avant, hop, je suis là, surprise, qui les tordent dans tous les sens, peu importe leur confort, faut que ça passe, on me regarde. Des hommes qui les secouent comme des paniers à salade, ou font autant de pas et de figures qu’il y a de doubles croches dans la musique, laissant leur partenaire haletante et désarticulée, quel plaisir… Des hommes qui, n’arrivant pas à transmettre à leur partenaire ce qu’ils aimeraient lui voir faire, s’arrêtent pour lui expliquer ce qu’elle aurait dû faire, lui montrent même, oubliant que la figure est le produit d’une relation plus ou moins réussie… Et d’une technique non pas seulement maitrisée, mais dépassée, oubliée, presque. C’est lui, se dit la femme.  C’est elle, se dit l’homme. C’est elle, certainement, conclut l’homme… C’est lui, certainement, se dit la femme : tout tient au guidage de l’homme. Ou presque.

Ah le tango… !

Le tango qui pastiche le style qu’on dit académique, lui inspiré, soucieux, grave, elle sérieuse et soumise, bien sûr. Docile… Celui du couple souteneur-protégée… Et puis le tango maladroit, le tango hésitant, le tango des débutants aussi, marqué au sceau des danses européennes aristocratiques, obsédées par la légèreté, ou le tango des corps gauches, alourdis ou pesants. Le tango bancale où une femme trop petite enfouit son nez dans le torse d’un homme trop grand, presque sous son aisselle, s’aveugle contre un corps qui fait barrage, obstacle ; disproportions, décalages des tailles tordant l’arbre de transmission, retardant le mouvement, rendant le couple grinçant, désaccordé, la danse heurtée, bégayante.

Le tango, peut-être, des femmes trop grandes pour que bien des hommes les prennent dans leurs bras. Tango penché, vouté, courbé où l’un, arc-bouté, disparaît sous l’autre. Inversion des images où il est de rigueur que le dominant soit plus grand, plus costaud... Et pourtant, d’en dessous, frêle ou de petite taille, l’homme fort habilement peut impulser le mouvement, se faire comprendre d’une partenaire qui ne se vautre pas sur lui, s’y repose un peu seulement.

Regard panoramique, mine de rien. On observe les danseurs, on évalue. Les à-coups, les hésitations, les maladresses, les décalages, les ratés : c’est elle ? C’est lui ? Elles, repèrent ceux contre lesquels elles ont envie de s’appuyer, leur détermination, leur solidité, la fluidité de leurs mouvements, leur élégance, leur évidente courtoisie, parfois leur brio. Eux, remarquent l’allure, la maitrise des huit, l’abraso, la pose des pieds, le légato des tours… Autour de la piste, debout, proposées aux clients, ou assises, attendant qu’on les déniche, les femmes. Arpentant la salle, les chalands : des hommes passent, de vitrine en vitrine, ignorant les choses exposées là, préoccupés, un verre d’eau à aller chercher, sûrement, ou autre nécessité de cet ordre, mais obnubilés, fonçant droit sur la marchandise qu’ils ont choisie. D’autres, à distance, tentent de capter l’attention d’une femme ; ils tâchent, d’un haussement de sourcils interrogatif, ou par la simple fixité du regard,  d’exprimer leur invitation ; leur discrétion est parfois tellement équivoque qu’il arrive que la femme ne voie pas, ou trop vaguement, l’expression du lointain candidat, ou ne sait l’interpréter, hésite et, gênée, se détourne.

Une valse. Des femmes, n’y tenant plus, se lèvent, et se déplacent, et cherchent, impatiemment, l’homme encore désœuvré, encore sans partenaire, qui saura les emmener dans la danse. Ils acceptent, on ne refuse pas, en général, ou l’on fait sa réputation.

Sur les bancs, on se parle, un peu. Elles, désignent les grincheux, les snobs, les susceptibles, les suffisants et, bien sûr, les bons guideurs, attentionnés mais, trop souvent, au service exclusif d’une danseuse habituelle, excellente elle aussi ou bien, c’est étrange, un peu gauche, non ? Eux, évoquent l’agrément de la danse avec celle-ci, l’ennui avec telle autre, -récalcitrante, une vraie charrette-, les habitudes, celles qui parlent, celles qui fredonnent, -ça distrait, déconcentre, ça en irrite certains, car il est de rigueur de paraître tout en intériorité, d’être grave, voire sombre, et la gaîté, la joie, franchement, est-ce que c’est sérieux ?- ; eux, croient déceler les caractères, les insoumises, les énergiques, les insolentes qui improvisent, n’en font qu’à leur fantaisie. Les jamais contentes. Les hommes ont le jugement sûr… Sur celles qui ne veulent plus danser avec eux… Les ingrates. Eux qui leur ont appris. Les bonnes danseuses ne les regardent même plus !’, se plaignent-ils à celles qui, elles, acceptent encore leurs invitations malgré leur légère raideur à eux, leur marche un peu mécanique, ou la dureté de leur conduite dont, n’ayant pas expérimenté celle des autres, ils ne se doutent pas. Pourtant l’harmonie n’est pas vraiment là, jamais, mais ils ne doutent pas. Sans doute ne leur reste-t-il que des débutantes, ou de médiocres danseuses, de celles qui ont encore tout à apprendre d’eux mais leur parlent d’autre chose, d’histoires de confiance qu’on installe, ou retrouve, d’histoires de détente possible, ou contrariée, de permissions qu’on se donne de s’adapter au corps de l’autre, au rythme qu’il installe, à son guidage… Les femmes ont l’art de répondre à côté de ce qu’on attend d’elles. Non ? Les hommes ont le jugement sûr… Sur celles qui dansent encore avec eux. Plus pour longtemps.

Tango, toc et paillettes

 

Ah le tango… Y a la poésie, ah la poésie… Y a l’allure… Ah l’allure… Les jambes des jeunes femmes, nues dans des escarpins dorés, ou gainées de bas à résilles ; les bras, qu’elles déploient si gracieusement, si lentement, avec tant de délicatesse que c’en est affecté, puis que l’on pose sur l’omoplate de son partenaire, parfois derrière son cou, pour mieux le plaquer contre soi, l’empêcher de s’échapper, de s’écarter, l’obliger à faire corps, sentir comment il bouge, les bras, nus, parfaits, doucement galbés… Les mains, baguées, soignées, gantées parfois, -de résille, elles aussi-, contrastant sur le tissu sombre des vêtements des hommes. Les mains, posées, comme sur un volant, à la base du triceps, branchées, transmettant aux épaules, aux torses, les mouvements de l’autre, de tout son corps, ses vibrations, sa solidité, son énergie, sa tranquillité, son assurance ; seul contact, parfois, entre les partenaires qui se tiennent à distance, pour des figures acrobatiques, pour plus de liberté, petits pas précipités en reflet les uns des autres, jeux de balancements réciproques, ou autres inventions malicieuses et complices que seuls autorisent les hommes qui acceptent de se laisser surprendre par la fantaisie de la femme, de perdre la main, momentanément, pour mieux la reprendre, les seuls hommes qui peuvent s’adapter comme, dans le tango, le doivent toujours les femmes. Les yeux fermés, comme pour mieux rêver, les mines extatiques. Tango idéal des corps sveltes, souples, harmonieux, accordés, confiants, accueillants.

Ah, le tango… !

Des femmes apprêtées, maquillées, enturbannées, métamorphosées, enguirlandées, scintillantes dans leurs robes à paillettes, à fronces, à volants, à queue... Des bras parfois un peu trop gras, un peu trop flasques, mais qu’on montre quand même, comme les autres, comptant sur la pénombre des salles de danse. Des mains qui s’accrochent, craintivement, au biceps du partenaire, de peur de perdre l’équilibre. Des jambes, lourdes parfois, ou torses, dont les chevilles ne peuvent pas se joindre. Des jambes qu’on déplace, qu’on traîne, qui obéissent. Des visages mornes. Des mines ennuyées. Des regards éteints.

Des hommes qui balancent incessamment, ou sautillent, et même les deux. Des hommes qui manipulent leurs partenaires comme des marionnettes, à droite, à gauche, arrière, avant, hop, je suis là, surprise, qui les tordent dans tous les sens, peu importe leur confort, faut que ça passe, on me regarde. Des hommes qui les secouent comme des paniers à salade, ou font autant de pas et de figures qu’il y a de doubles croches dans la musique, laissant leur partenaire haletante et désarticulée, quel plaisir… Des hommes qui, n’arrivant pas à transmettre à leur partenaire ce qu’ils aimeraient lui voir faire, s’arrêtent pour lui expliquer ce qu’elle aurait dû faire, lui montrent même, oubliant que la figure est le produit d’une relation plus ou moins réussie… Et d’une technique non pas seulement maitrisée, mais dépassée, oubliée, presque. C’est lui, se dit la femme.  C’est elle, se dit l’homme. C’est elle, certainement, conclut l’homme… C’est lui, certainement, se dit la femme : tout tient au guidage de l’homme. Ou presque.

Ah le tango… !

Le tango qui pastiche le style qu’on dit académique, lui inspiré, soucieux, grave, elle sérieuse et soumise, bien sûr. Docile… Celui du couple souteneur-protégée… Et puis le tango maladroit, le tango hésitant, le tango des débutants aussi, marqué au sceau des danses européennes aristocratiques, obsédées par la légèreté, ou le tango des corps gauches, alourdis ou pesants. Le tango bancale où une femme trop petite enfouit son nez dans le torse d’un homme trop grand, presque sous son aisselle, s’aveugle contre un corps qui fait barrage, obstacle ; disproportions, décalages des tailles tordant l’arbre de transmission, retardant le mouvement, rendant le couple grinçant, désaccordé, la danse heurtée, bégayante.

Le tango, peut-être, des femmes trop grandes pour que bien des hommes les prennent dans leurs bras. Tango penché, vouté, courbé où l’un, arc-bouté, disparaît sous l’autre. Inversion des images où il est de rigueur que le dominant soit plus grand, plus costaud... Et pourtant, d’en dessous, frêle ou de petite taille, l’homme fort habilement peut impulser le mouvement, se faire comprendre d’une partenaire qui ne se vautre pas sur lui, s’y repose un peu seulement.

Regard panoramique, mine de rien. On observe les danseurs, on évalue. Les à-coups, les hésitations, les maladresses, les décalages, les ratés : c’est elle ? C’est lui ? Elles, repèrent ceux contre lesquels elles ont envie de s’appuyer, leur détermination, leur solidité, la fluidité de leurs mouvements, leur élégance, leur évidente courtoisie, parfois leur brio. Eux, remarquent l’allure, la maitrise des huit, l’abraso, la pose des pieds, le légato des tours… Autour de la piste, debout, proposées aux clients, ou assises, attendant qu’on les déniche, les femmes. Arpentant la salle, les chalands : des hommes passent, de vitrine en vitrine, ignorant les choses exposées là, préoccupés, un verre d’eau à aller chercher, sûrement, ou autre nécessité de cet ordre, mais obnubilés, fonçant droit sur la marchandise qu’ils ont choisie. D’autres, à distance, tentent de capter l’attention d’une femme ; ils tâchent, d’un haussement de sourcils interrogatif, ou par la simple fixité du regard,  d’exprimer leur invitation ; leur discrétion est parfois tellement équivoque qu’il arrive que la femme ne voie pas, ou trop vaguement, l’expression du lointain candidat, ou ne sait l’interpréter, hésite et, gênée, se détourne.

Une valse. Des femmes, n’y tenant plus, se lèvent, et se déplacent, et cherchent, impatiemment, l’homme encore désœuvré, encore sans partenaire, qui saura les emmener dans la danse. Ils acceptent, on ne refuse pas, en général, ou l’on fait sa réputation.

Sur les bancs, on se parle, un peu. Elles, désignent les grincheux, les snobs, les susceptibles, les suffisants et, bien sûr, les bons guideurs, attentionnés mais, trop souvent, au service exclusif d’une danseuse habituelle, excellente elle aussi ou bien, c’est étrange, un peu gauche, non ? Eux, évoquent l’agrément de la danse avec celle-ci, l’ennui avec telle autre, -récalcitrante, une vraie charrette-, les habitudes, celles qui parlent, celles qui fredonnent, -ça distrait, déconcentre, ça en irrite certains, car il est de rigueur de paraître tout en intériorité, d’être grave, voire sombre, et la gaîté, la joie, franchement, est-ce que c’est sérieux ?- ; eux, croient déceler les caractères, les insoumises, les énergiques, les insolentes qui improvisent, n’en font qu’à leur fantaisie. Les jamais contentes. Les hommes ont le jugement sûr… Sur celles qui ne veulent plus danser avec eux… Les ingrates. Eux qui leur ont appris. Les bonnes danseuses ne les regardent même plus !’, se plaignent-ils à celles qui, elles, acceptent encore leurs invitations malgré leur légère raideur à eux, leur marche un peu mécanique, ou la dureté de leur conduite dont, n’ayant pas expérimenté celle des autres, ils ne se doutent pas. Pourtant l’harmonie n’est pas vraiment là, jamais, mais ils ne doutent pas. Sans doute ne leur reste-t-il que des débutantes, ou de médiocres danseuses, de celles qui ont encore tout à apprendre d’eux mais leur parlent d’autre chose, d’histoires de confiance qu’on installe, ou retrouve, d’histoires de détente possible, ou contrariée, de permissions qu’on se donne de s’adapter au corps de l’autre, au rythme qu’il installe, à son guidage… Les femmes ont l’art de répondre à côté de ce qu’on attend d’elles. Non ? Les hommes ont le jugement sûr… Sur celles qui dansent encore avec eux. Plus pour longtemps.

Tango, toc et paillettes

 

Ah le tango… Y a la poésie, ah la poésie… Y a l’allure… Ah l’allure… Les jambes des jeunes femmes, nues dans des escarpins dorés, ou gainées de bas à résilles ; les bras, qu’elles déploient si gracieusement, si lentement, avec tant de délicatesse que c’en est affecté, puis que l’on pose sur l’omoplate de son partenaire, parfois derrière son cou, pour mieux le plaquer contre soi, l’empêcher de s’échapper, de s’écarter, l’obliger à faire corps, sentir comment il bouge, les bras, nus, parfaits, doucement galbés… Les mains, baguées, soignées, gantées parfois, -de résille, elles aussi-, contrastant sur le tissu sombre des vêtements des hommes. Les mains, posées, comme sur un volant, à la base du triceps, branchées, transmettant aux épaules, aux torses, les mouvements de l’autre, de tout son corps, ses vibrations, sa solidité, son énergie, sa tranquillité, son assurance ; seul contact, parfois, entre les partenaires qui se tiennent à distance, pour des figures acrobatiques, pour plus de liberté, petits pas précipités en reflet les uns des autres, jeux de balancements réciproques, ou autres inventions malicieuses et complices que seuls autorisent les hommes qui acceptent de se laisser surprendre par la fantaisie de la femme, de perdre la main, momentanément, pour mieux la reprendre, les seuls hommes qui peuvent s’adapter comme, dans le tango, le doivent toujours les femmes. Les yeux fermés, comme pour mieux rêver, les mines extatiques. Tango idéal des corps sveltes, souples, harmonieux, accordés, confiants, accueillants.

Ah, le tango… !

Des femmes apprêtées, maquillées, enturbannées, métamorphosées, enguirlandées, scintillantes dans leurs robes à paillettes, à fronces, à volants, à queue... Des bras parfois un peu trop gras, un peu trop flasques, mais qu’on montre quand même, comme les autres, comptant sur la pénombre des salles de danse. Des mains qui s’accrochent, craintivement, au biceps du partenaire, de peur de perdre l’équilibre. Des jambes, lourdes parfois, ou torses, dont les chevilles ne peuvent pas se joindre. Des jambes qu’on déplace, qu’on traîne, qui obéissent. Des visages mornes. Des mines ennuyées. Des regards éteints.

Des hommes qui balancent incessamment, ou sautillent, et même les deux. Des hommes qui manipulent leurs partenaires comme des marionnettes, à droite, à gauche, arrière, avant, hop, je suis là, surprise, qui les tordent dans tous les sens, peu importe leur confort, faut que ça passe, on me regarde. Des hommes qui les secouent comme des paniers à salade, ou font autant de pas et de figures qu’il y a de doubles croches dans la musique, laissant leur partenaire haletante et désarticulée, quel plaisir… Des hommes qui, n’arrivant pas à transmettre à leur partenaire ce qu’ils aimeraient lui voir faire, s’arrêtent pour lui expliquer ce qu’elle aurait dû faire, lui montrent même, oubliant que la figure est le produit d’une relation plus ou moins réussie… Et d’une technique non pas seulement maitrisée, mais dépassée, oubliée, presque. C’est lui, se dit la femme.  C’est elle, se dit l’homme. C’est elle, certainement, conclut l’homme… C’est lui, certainement, se dit la femme : tout tient au guidage de l’homme. Ou presque.

Ah le tango… !

Le tango qui pastiche le style qu’on dit académique, lui inspiré, soucieux, grave, elle sérieuse et soumise, bien sûr. Docile… Celui du couple souteneur-protégée… Et puis le tango maladroit, le tango hésitant, le tango des débutants aussi, marqué au sceau des danses européennes aristocratiques, obsédées par la légèreté, ou le tango des corps gauches, alourdis ou pesants. Le tango bancale où une femme trop petite enfouit son nez dans le torse d’un homme trop grand, presque sous son aisselle, s’aveugle contre un corps qui fait barrage, obstacle ; disproportions, décalages des tailles tordant l’arbre de transmission, retardant le mouvement, rendant le couple grinçant, désaccordé, la danse heurtée, bégayante.

Le tango, peut-être, des femmes trop grandes pour que bien des hommes les prennent dans leurs bras. Tango penché, vouté, courbé où l’un, arc-bouté, disparaît sous l’autre. Inversion des images où il est de rigueur que le dominant soit plus grand, plus costaud... Et pourtant, d’en dessous, frêle ou de petite taille, l’homme fort habilement peut impulser le mouvement, se faire comprendre d’une partenaire qui ne se vautre pas sur lui, s’y repose un peu seulement.

Regard panoramique, mine de rien. On observe les danseurs, on évalue. Les à-coups, les hésitations, les maladresses, les décalages, les ratés : c’est elle ? C’est lui ? Elles, repèrent ceux contre lesquels elles ont envie de s’appuyer, leur détermination, leur solidité, la fluidité de leurs mouvements, leur élégance, leur évidente courtoisie, parfois leur brio. Eux, remarquent l’allure, la maitrise des huit, l’abraso, la pose des pieds, le légato des tours… Autour de la piste, debout, proposées aux clients, ou assises, attendant qu’on les déniche, les femmes. Arpentant la salle, les chalands : des hommes passent, de vitrine en vitrine, ignorant les choses exposées là, préoccupés, un verre d’eau à aller chercher, sûrement, ou autre nécessité de cet ordre, mais obnubilés, fonçant droit sur la marchandise qu’ils ont choisie. D’autres, à distance, tentent de capter l’attention d’une femme ; ils tâchent, d’un haussement de sourcils interrogatif, ou par la simple fixité du regard,  d’exprimer leur invitation ; leur discrétion est parfois tellement équivoque qu’il arrive que la femme ne voie pas, ou trop vaguement, l’expression du lointain candidat, ou ne sait l’interpréter, hésite et, gênée, se détourne.

Une valse. Des femmes, n’y tenant plus, se lèvent, et se déplacent, et cherchent, impatiemment, l’homme encore désœuvré, encore sans partenaire, qui saura les emmener dans la danse. Ils acceptent, on ne refuse pas, en général, ou l’on fait sa réputation.

Sur les bancs, on se parle, un peu. Elles, désignent les grincheux, les snobs, les susceptibles, les suffisants et, bien sûr, les bons guideurs, attentionnés mais, trop souvent, au service exclusif d’une danseuse habituelle, excellente elle aussi ou bien, c’est étrange, un peu gauche, non ? Eux, évoquent l’agrément de la danse avec celle-ci, l’ennui avec telle autre, -récalcitrante, une vraie charrette-, les habitudes, celles qui parlent, celles qui fredonnent, -ça distrait, déconcentre, ça en irrite certains, car il est de rigueur de paraître tout en intériorité, d’être grave, voire sombre, et la gaîté, la joie, franchement, est-ce que c’est sérieux ?- ; eux, croient déceler les caractères, les insoumises, les énergiques, les insolentes qui improvisent, n’en font qu’à leur fantaisie. Les jamais contentes. Les hommes ont le jugement sûr… Sur celles qui ne veulent plus danser avec eux… Les ingrates. Eux qui leur ont appris. Les bonnes danseuses ne les regardent même plus !’, se plaignent-ils à celles qui, elles, acceptent encore leurs invitations malgré leur légère raideur à eux, leur marche un peu mécanique, ou la dureté de leur conduite dont, n’ayant pas expérimenté celle des autres, ils ne se doutent pas. Pourtant l’harmonie n’est pas vraiment là, jamais, mais ils ne doutent pas. Sans doute ne leur reste-t-il que des débutantes, ou de médiocres danseuses, de celles qui ont encore tout à apprendre d’eux mais leur parlent d’autre chose, d’histoires de confiance qu’on installe, ou retrouve, d’histoires de détente possible, ou contrariée, de permissions qu’on se donne de s’adapter au corps de l’autre, au rythme qu’il installe, à son guidage… Les femmes ont l’art de répondre à côté de ce qu’on attend d’elles. Non ? Les hommes ont le jugement sûr… Sur celles qui dansent encore avec eux. Plus pour longtemps.



13/01/2019
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