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Vent d'Est

 

Une chemise ou, en été, une chemisette ; blanche. Une ceinture, toujours, autour d’une taille musclée et souple. Soigné. Italie ? Non, Europe de l’Est… Il danse bien, très bien. Il danse aisément, il danse avec grand plaisir, brillamment. Il avance, rieur, brillant, virtuose ; il bouge, déterminé. Un tourbillon, une tornade, ‘comme s’il voulait dégager la piste sur son passage’, grondent les danseurs plus prudents, les gens bien-élevés, les doux et même les malabars. Les anges et les poids plume se sentent chassés, comme la poussière du parquet, par la menace qu’il fait courir aux plus hésitants. Les hommes ne l’aiment pas beaucoup. Il est vif, sanguin, vindicatif, disent-ils. Il s’emporte, facilement, change d’humeur, du rire qui plisse ses yeux si je lui résiste, si je le fais attendre, ostensiblement, si je prends la main, à ma fantaisie, si je joue autant qu’il le fait, à la colère qui le fait gesticuler contre un grincheux scandalisé du grand vent qu’il soulève, peut-être ?

« Il est brutal, tu ne trouves-pas ? Il secoue les femmes, non ? 

- Je ne trouve pas, non. »

Des jouets, les femmes qu’il fait virevolter… Dans la vie, ça se pourrait. Je ne sais pas. Décidément, encore une candidate pour les brutes épaisses, se disent, perplexes, ceux qui pensent opter pour plus d’égards vis-à-vis de nos chairs si fragiles… L’aliénation des femmes… Une qui en redemande, ah, on n’en a pas fini...

« Il les bouscule, non ?

-          A moi, il dit : ‘doucement, doucement !’. ».

Chacun son tempérament. Peut-être oblige-t-il simplement les plus lentes à suivre le rythme, temps fort, contretemps, à entendre la musique, à ne pas mollir.

 

Vent d’Est ne fait pas de cabeceo. Un grand sourire aux lèvres, familièrement, il tend la main, le plus souvent avec ce mouvement impérieux qu’on fait pour appeler les enfants. Ça ne manque pas de culot, mais ça m’amuse. L’appui que m’offre Vent d’Est,  l’empoignement dans la danse, quand elle est vive et rapide, le rapprochement, quand la musique se fait plus tendre, donne une proximité que ni l’un ni l’autre ne renions. A la fin d’une tanda, certains s’écartent et ne se connaissent plus ; d’une milonga à l’autre, ne se reconnaissent plus. Pas lui. Il vient me dire bonjour. Il m’embrasse. Il me réinvite.

 

Certains attendent quatre ou cinq ans, au moins, pour que les femmes soient à la hauteur de leur talent et les découvrir soudain, et les saluer, dignes qu’elles sont devenues, enfin, d’être invitées ; lui, prend plaisir à essayer, avec toutes, l’efficacité de son guidage. Si je ne me trompe, c’est sans doute lui le premier excellent danseur qui n’ait pas dédaigné de faire danser la débutante que j’étais il y a quelques années.

 

J’aime sa vivacité, qui me fait par instants retrouver une aisance de gymnaste adolescente, comme je peux aimer la langueur de certains autres, leur tranquillité, leur douceur. Il ne cherche pas à briller lui-même et ne réalise pas de pas époustouflants. Trapéziste, il serait le porteur du couple d’acrobates ; tanguero, il est l’axe, le chêne, le soutien de tous les envols. Il est ferme. Indéracinable. En professionnel de la danse qu’il a été, il fait équipe, et sait qu’on répondra à ses impulsions. La technique de Vent d’Est est depuis longtemps digérée, transmuée en une solidité, une précision, une maîtrise, évidentes. Escamotée. On est sa partenaire. Et il obtient ce qu’il veut. En rythme. Sans hésitation.

 

 



24/11/2017
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